La génétique seule ne peut expliquer l'explosion récente du surpoids et de l'obésité (illustration).
VIDAL : Quels sont les déterminants de l'obésité ? Quelle est la part de la génétique ?
Serge Hercberg : Beaucoup de discours sont tenus autour des déterminants de l'obésité, particulièrement depuis les dernières décennies. De multiples facteurs interviennent : des facteurs génétiques, biologiques et environnementaux. Les facteurs génétiques sont les facteurs sur lesquels on peut faiblement agir, car on ne choisit pas son grand-père ou sa grand-mère, on ne choisit pas ses gènes. Par contre, les facteurs environnementaux sont des facteurs sur lesquels nous avons davantage de possibilités d'agir, au niveau individuel ou collectif. Il ne faut certes pas nier l'impact de la génétique, mais on a du mal à imaginer pourquoi d'un coup les choses auraient changé radicalement par la génétique.. Alors que notre environnement a changé ces dernières décennies, ce qui explique l'augmentation de la prévalence du surpoids et de l'obésité, l'épidémie de l'obésité.
Donc, il ne faut pas considérer que l'obèse est responsable de sa situation : l'environnement actuel pousse l'ensemble des individus vers des comportements alimentaires qui ne sont pas les plus favorables et chez certains sujets, qui ont un terrain génétique plus défavorable, cela va se traduire par l'expression de l'obésité. Donc il ne faut absolument pas culpabiliser, stigmatiser les obèses, c'est une maladie et ils sont victimes, ils ne sont pas coupables.
VIDAL : Qu'entendez-vous par "comportements alimentaires défavorables" liés à l'environnement ?
Serge Hercberg : Lorsque nous observons l'alimentation actuelle de nos concitoyens, nous constatons qu'elle a considérablement changé au cours des dernières décennies : même s'il reste encore, en France, les repas principaux comme marqueurs, nous mangeons en effet de façon plus déstructurée. Il y a désormais la possibilité de manger à toute heure du jour : il suffit de passer devant une boulangerie pour voir que l'on peut acheter un sandwich, des gâteaux, il y a des distributeurs automatiques payants, la restauration rapide.. Donc nous sommes poussés à consommer entre les repas traditionnels et nous avons tendance à avoir ces comportements de grignotage. Nous l'avons très bien vu avec les premiers résultats de notre étude de cohorte NutriNet santé : ces comportements de grignotage peuvent devenir très fréquents et aboutir à des consommations extrêmement importantes. Nous mangeons également davantage de produits préparés car nous faisons moins la cuisine, il y a moins de temps disponible pour le faire.
Donc il faut que nous prenions en considération tous ces facteurs qui peuvent, à terme, avoir des effets défavorables car souvent, les produits accessibles toute la journée, les produits plus économiques ou ceux que l'on va trouver dans les distributeurs sont des produits gras, sucrés, salés, très caloriques, qui vont renforcer le déséquilibre de notre balance nutritionnelle. Et ce d'autant plus que notre vie aujourd'hui est beaucoup plus sédentaire : nous passons beaucoup plus de temps dans les transports, nous utilisons des escaliers mécaniques, des ascenseurs pour monter (et tant mieux sur certains points), nous passons de plus en plus de temps devant des écrans (consoles, jeux vidéos, télévision…). Il faut donc prendre en considération tous ces facteurs d'évolution de notre société pour essayer de voir comment agir pour réduire le risque de surpoids et d'obésité. Et au-delà du surpoids et de l'obésité, la nutrition joue un rôle dans les cancers, les maladies cardio-vasculaires, bien sûr le diabète, l'hypertension, le déclin cognitif… l'impact de la nutrition sur la santé est vraiment bien plus large que le surpoids et l'obésité.
VIDAL : Les Français sont-ils moins affectés que d'autres par ces changements environnementaux ?
Serge Hercberg : Nous avons moins d'obésité, moins de maladies cardio-vasculaires que nos voisins britanniques, que le monde anglo-saxon en général. Par contre, ce qui nous inquiète, c'est l'évolution récente : le surpoids et l'obésité, notamment chez les enfants, ont considérablement augmenté entre les années 80 et 2000. Nous avons certes une espérance de vie plus élevée que beaucoup d'autres pays, mais l'OCDE pointe le fait qu'en France, malgré notre espérance de vie élevée, la mortalité prématurée (celle qui est la plus évitable, la plus liée à l'environnement) est très élevée.
Et puis surtout, nous avons en France des inégalités sociales de santé extrêmement fortes. Or la nutrition est un marqueur social : un ouvrier mange 50 % de moins de fruits et légumes qu'un cadre, il mange aussi 30 % de moins de poisson. Donc nous sommes dans des conditions où l'accessibilité financière rend extrêmement difficile la possibilité d'avoir une alimentation équilibrée lorsque l'épaisseur duportefeuille est faible… Nous voyons d'ailleurs bien que l'obésité est beaucoup plus fréquente dans les populations les plus défavorisées, aussi bien chez l'enfant que chez l'adulte.
VIDAL : Comment réduire ces inégalités sociales de nutrition et santé ?
Serge Hercberg : Si nous voulons réduire cette fracture nutritionnelle, si nous voulons vraiment lutter contre les inégalités sociales de santé, nous savons que nous ne pouvons pas nous appuyer uniquement sur la communication. De plus, et l'expertise collective de l'INSERM l'a bien montré, la communication favorise le passage à l'acte des populations les plus favorisées et non des populations les plus défavorisées. La communication va donc creuser les inégalités sociales.
Il faut plutôt mettre en œuvre des mesures plus radicales, de type politique : il faut jouer sur l'accessibilité des aliments, ce qui peut passer par des systèmes de taxations pour les aliments les plus gras, sucrés, salés et des systèmes de subventions pour les aliments les plus favorables sur le plan nutritionnel. Cela pourrait passer par des mesures sociales, comme des coupons fruits et légumes donnés aux populations les plus défavorisées, ou des coupons tickets sport pour permettre aux familles défavorisées d'inscrire leurs enfants dans des clubs sportifs. Il faut également que nous régulions la publicité parce qu'aujourd'hui, 80 % des publicités destinées aux enfants sont pour des aliments gras, sucrés ou salés… Il ne s'agit pas du tout d'interdire ces aliments, ce n'est pas du tout de la prohibition mais nous ne voulons pas en faire une promotion excessive. Il faudra bien que ces publicités télévisuelles soient régulées.
VIDAL : Une charte de "bonne conduite publicitaire" a été signée par les industriels en 2009. Sans aucun effet positif ?
Serge Hercberg : Depuis plusieurs années, dans le cadre du PNNS (programme national nutrition et santé), nous essayons de pousser les industriels à être plus vertueux là où ils peuvent l'être. Nous n'avons pas vraiment réussi sur la publicité : nous avons essayé de demander une initiative volontariste aux industriels, mais si certains se sont retirés de certains écrans destinés aux enfants, ils ont réinvesti sur le prime time au moment de la Coupe du monde de football, des Jeux Olympiques, donc bien évidemment cela n'a pas du tout été efficace. Nous avons également signé des chartes d'engagement avec certaines entreprises, qui ont été très efficaces : nous avons constaté des réductions des apports de gras, de sucre et de sel assez importantes. Mais le problème, c'est que nous n'avons touché que quelques sociétés et qu'au total, l'incitation n'a donc pas été suffisante.
Propos recueillis le 21 octobre 2014 à l'Unité de Recherche en Epidémiologie Nutritionnelle (UREN) de l'Université Paris 13 (Hôpital Avicenne, Bobigny).
En savoir plus :
Propositions pour un nouvel élan de la politique nutritionnelle française de santé publique dans le cadre de la Stratégie nationale de santé - 1ère partie : mesures concernant la prévention nutritionnelle, Pr Serge Hercberg, janvier 2014
Le site de NutriNet Santé
Mortalité prématurée, Panorama de la santé 2009 : Les indicateurs de l'OCDE
Inégalités sociales de santé en lien avec l'alimentation et l'activité physique, expertise collective de l'Inserm, mai 2014
Sur VIDAL.fr :
Etude (Inserm) : le suivi étroit des recommandations nutritionnelles du PNNS diminuerait le risque cardiovasculaire (novembre 2013)
Sources
Pour recevoir gratuitement toute l’actualité par mail Je m'abonne !
Commentaires
Cliquez ici pour revenir à l'accueil.