Le tramadol et la codéine sont indiqués dans le traitement des douleurs modérées à sévères (illustration).
Repéré par une étude de pharmacovigilance de l'équipe Inserm du Pr Jean-Louis Montastruc, l'effet hypoglycémiant du tramadol constaté est survenu, pour plus de 40 % des notifications, dans les 10 premiers jours de traitement, sans facteurs de risque diabétique connus.
Une sélection rigoureuse des dossiers et une comparaison avec la codéine
Ont été sélectionné les dossiers de patients, non traités pour un cancer, ayant reçu pour la première fois un traitement par tramadol seul ou codéine seule entre 1998 et 2012. Les patients avec antécédents d'hospitalisation pour hypoglycémie ont été exclus. Cette cohorte a été tracée jusqu'à la survenue d'une hospitalisation pour hypoglycémie, du décès, d'une sortie du registre ou de la fin de la période d'étude.
L'analyse statistique s'est faite par cas-contrôles agrégés (jusqu'à 10 contrôles appariés par cas), avec une analyse supplémentaire des cas en cross-over.
Toutes les hospitalisations pour une première hypoglycémie ont fourni les cas.
Un patient était classé comme exposé au tramadol ou à la codéine s'il y avait une première prescription du produit (depuis au moins un an sans autre exposition en association médicamenteuse parallèle) remontant à moins de 30 jours avant l'hospitalisation pour hypoglycémie. Pour le tramadol la prescription a été aussi recherchée plus de 30 jours auparavant afin de préciser si le risque d'hypoglycémie variait avec le temps. Le comparateur était la codéine.
Une population hypoglycémique présentant également d'autres difficultés de santé
En 15 ans les prescriptions de tramadol ont presque décuplé au Royaume-Uni (210 000 annuelles en 2011). Dans cette étude, elles ont été prescrites plus fréquemment en post-chirurgical par rapport à la codéine. C'est la seule distinction de prescription entre ces deux produits.
Mais il y a une différence d'état de santé entre les patients en hypoglycémie et les patients "contrôles" : plus de fumeurs, d'obèses, de co-morbidités, de prescriptions médicamenteuses, une présence presque doublée d'alcoolisation excessive (9,1 % contre 5,3 %).
Les cas recensés en France par le service de pharmacovigilance du Pr Montastruc mentionnent un usage du tramadol à dose recommandée, avec une fréquence plus élevée chez les personnes plus âgés.
Un risque d'hypoglycémie très faible, expliquant qu'il soit passé inaperçu jusqu'ici
L'incidence globale des hypoglycémies constatées par l'analyse de ces dossiers se monte à 0,7 pour 1000 patients/années ; la mortalité constatée élevée, de 10,1 %, est probablement affectée par l'état médiocre des patients mentionné ci-dessus.
La rareté de cet effet indésirable expliquerait donc qu'il n'ait pas émergé des études randomisées et qu'il ne fasse donc pas partie des effets indésirables mentionnées dans les mentions légales des médicaments contenant du tramadol.
Trois fois plus d'hypoglygémies sous tramadol vs codéine
Globalement, une prescription récente de tramadol est bien associée à un surrisque hypoglycémique par rapport à la codéine : incidence brute à 3,0 (IC 95% 1,3 - 6,0) pour 10 000 patients/années contre 0,7 (IC 95% 0,4 - 1,1) avec la codéine.
Dans le modèle ajusté, la fréquence des hypoglycémies sous tramadol est trois supérieure à celle sous codéine (HR ajusté à 3,60).
Un surrisque d'hospitalisation par rapport à la codéine
Par rapport à la prescription de codéine, une prescription de tramadol est associée à un risque d'hospitalisation pour hypoglycémie augmenté de 52 % (OR 1,52, IC 95% 1,09 - 2,10).
Ce risque est quasiment triplé si le traitement a été institué moins de 30 jours auparavant (OR 2,61, IC 95% 1,61 - 4,23).
Ce risque est également doublé en l'absence de traitement anti-diabétique (OR 2,10, IC 95% 1,18 - 3,79) par rapport aux patients traités (OR 1,1, CI 95% 0,71-1,73).
En restreignant l'analyse aux patients avec "hypoglycémie" comme première cause d'hospitalisation, le risque est doublé sous tramadol vs codéine (OR 2,15, CI 95%1,33 - 3,48). Le risque est supérieur, mais non significatif, en l'absence d'hospitalisation dans les 30 derniers jours (comparativement à une hospitalisation).
Ces résultats sont confirmés en analysant l'année précédant l'hospitalisation : la prescription transitoire de tramadol augmente le risque d'hospitalisation pour hypoglycémie (OR à 3,80) par rapport à une absence de prescription. Elle augmente encore plus le risque d'hypoglycémie fatale (OR à 6,21).
Un risque d'hypoglycémie lié à deux propriétés pharmacologiques du tramadol ?
Pharmacologiquement, les auteurs soulignent que le tramadol présente deux propriétés qui pourraient expliquer la survenue de cet événement indésirable : la stimulation des récepteurs mu aux opiacés et l'inhibition du recaptage de la sérotonine et de la norépinéphrine. Des études chez le rat ont bien impliqué le récepteur mu dans l'hypoglycémie sous tramadol (ex : Frontiers in neuroscience, 2013), et d'autres ont montré que le circuit de régulation de la sérotonine influait sur le métabolisme du glucose (ex : Diabetes 2001).
D'autres études seront nécessaire pour confirmer ce risque d'effet indésirable rare, mais "potentiellement mortel", comme le rappellent les auteurs dans leurs conclusions.
En savoir plus :
Tramadol Use and the Risk of Hospitalization for Hypoglycemia in Patients With Noncancer Pain. J.P. Fournier et coll. Publication en ligne du 8 décembre 2014
Plasma Glucose–Lowering Effect of Tramadol in Streptozotocin-Induced Diabetic Rats, Juei-Tang Cheng et coll., Diabetes, décembre 2001
Serotonin and the regulation of mammalian energy balance, Michael H. Donovan and Laurence H. Tecott, Frontiers in neurosciences, mars 2013
Clinical Practice Research Datalink, UK
Sources
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