La prévention secondaire, médicamenteuse et non médicamenteuse, est importante pour diminuer les risques de complications ou de décès après un infarctus (illustration).
Des centaines de milliers de Français ont déjà eu un infarctus du myocarde, avec risques de complications ou décès secondaires
L'incidence de nouveaux cas d'infarctus du myocarde en France est de 100 000 par an.
Par ailleurs, on estime qu'entre 500 000 et 1 million de patients ont un antécédent d'infarctus.
Or la gravité d'un infarctus ne se limite pas à sa phase aiguë : des complications cardiovasculaires peuvent aussi survenir (récidive de l'infarctus, troubles du rythme, etc.), de même qu'un décès prématuré (7 % des patients décèdent dans le 1er mois suivant l'infarctus, et 13 % dans l'année qui le suit).
Mais une diminution des rechutes et décès grâce à l'amélioration des traitements
Cette mortalité a toutefois été réduite de moitié en 10 ans, probablement grâce à l'amélioration des traitements immédiats (angioplastie la plus rapide possible, voir VIDAL Reco « Infarctus du myocarde : arbre décisionnel") et secondaires (statines notamment).
Aujourd'hui, comme précisé en introduction, la prévention secondaire repose sur la prescription de BASIC : co-prescription d'un bêta-bloquant (en l'absence de contre-indications), de deux anti-agrégants plaquettaires, d'une statine à dose élevée et d'un inhibiteur de l'enzyme de conversion ; le contrôle des facteurs de risques cardiovasculaires doit également être mis en œuvre le mieux possible (détails : voir VIDAL Reco "Post-infarctus").
Des données positives à court terme sur l'utilisation des bêta-bloquants, confirmées récemment par un essai clinique randomisé
Etienne Puymirat, Nicolas Danchin et coll. notent en introduction de leur travail que les études sur les bêta-bloquants en post-infarctus datent de plusieurs décennies, avant la prise en charge moderne des infarctus (angioplastie immédiate, statines en prévention secondaire).
A court terme, un essai clinique randomisé relativement récent, appelé COMMIT (The Lancet 2005), a cependant été effectué auprès de 45 800 patients, recrutés entre 1999 et 2005 dans 1 250 hôpitaux. Ces patients ont reçu soit un bêta-bloquant IV (métoprolol) soit un placebo. Les résultats montrent moins de complications et de décès dans le groupe bêta-bloquants, mais seulement à court terme (suivi de 28 jours seulement).
Par contre, une étude observationnelle soulève un possible doute sur l'utilité des bêta-bloquants à distance de l'infarctus
Les bêta-bloquants sont en général continués pendant des années, voire à vie, du moins s'ils sont bien supportés et si l'observance est bonne.
Cependant l'étude observationnelle REACH (JAMA 2012), après analyse des données de plus de 6 000 Américains ayant eu un infarctus avant 2004 avec ou sans bêta-bloquants, a conclu à la diminution de la mortalité cardiovasculaire chez les patients sous bêta-bloquants à court terme, mais pas à distance de l'infarctus (suivi sur 44 mois), semant un doute sur une utilité à distance.
Ce doute a entraîné une légère divergence des recommandations européennes et américaines
L'European Society of Cardiology (ESC), dans ses recommandations de 2012, estime que les données sont trop anciennes ou insuffisantes pour établir avec certitude l'utilité des bêta-bloquants à distance de l'infarctus (en l'absence, toujours, d'insuffisance cardiaque ou insuffisance ventriculaire gauche), et donc pour les utiliser dans cette indicaiton sur le long terme.
A l'inverse, les sociétés savantes de cardiologie américaines recommandent une prise au long cours de bêtabloquants, malgré ces doutes.
Une étude française pour tenter d'en savoir davantage sur cette utilité, ou non, à distance de l'infarctus
Etienne Puymirat, Nicolas Danchin et coll. ont donc analysé le registre français des infarctus du myocarde, FAST-MI 2005, qui recueille les données de 223 des 374 hôpitaux et cliniques français prenant en charge cette pathologie.
Les données de 2 679 patients ayant subi un infarctus en octobre 2005 (symptômes évocateurs, confirmation à l'ECG et biologiquement) et sans insuffisance cardiaque ont été prises en compte.
Leurs données de suivi sur 5 ans, facteurs de risque, antécédents, examens complémentaires, traitements, cause d'un éventuel décès ont été enregistrés, ce qui a permis d'obtenir les résultats suivants.
Bêta-bloquants donnés précocement : baisse de 54 % du risque de décès à 30 jours
Sur ces 2 679 patients, 2 050 ne présentaient pas d'insuffisance cardiaque (fraction d'éjection ventriculaire gauche > 40 %) et ont reçu de bêta-bloquants (BB) dès les premières 48 heures suivant leur admission.
A 30 jours, la mortalité constatée (données brutes, sans ajustement en fonction de l'âge, des facteurs de risque, etc.) était de 2,3 % chez les personnes traitées précocement par BB, contre 8,6 % chez les 629 patients non traités précocement, soit une baisse du risque relatif de 74 % (RR = 0,26 ; IC95% = 0,17 - 0,38 ; p < 0,001).
Après ajustements multivariés (âge, facteurs de risque, élimination de facteurs de confusion, etc.), cette différence reste significative, avec une baisse de 54 % de ce risque (RR = 0,46 en analyse multivariée ; IC95% = 0,26 - 0,82 ; p = 0,008) :
En s'intéressant uniquement aux patients qui ne sont pas décédés dans les premières 48 heures, la baisse constatée chez les patients sous BB est encore de 51 % (p = 0,026).
Les résultats ne sont pas affectés par le type de bêta-bloquant ni les différents sous-groupes en fonction de l'âge ou du sexe.
Mois après mois, la différence s'estompe, pour devenir faible, voire non significative, à 1 an
Cet effet bénéfique à court terme diminue progressivement, avec le constat d'une mortalité à 1 an de 3,4 % chez les 1 783 patients qui étaient toujours sous BB à J30, contre 7,8 % chez les patients qui n'en ont pas pris.
Cette diminution reste significative sans ajustements (- 67 % ; IC95 = 0,28 - 0,65 ; p < 0,001).
Par contre, après ajustements, la baisse n'est plus que de 33 % et n'est plus significative statistiquement (IC95 = 0,46 - 1,30 ; p = 0,32) :
Pour les auteurs, ce manque de significativité peut cependant être lié à la taille limitée de l'échantillon et n'implique pas qu'il n'y ait pas d'effet notable. Ils notent d'ailleurs que les décès cardiovasculaires sont significativement inférieurs chez les patients sous BB depuis leur sortie d'hôpital : 2,6 %, versus 5,5 % chez ceux qui n'ont pas reçu la prescription (p = 0,044). Par contre, le nombre des morts subites est identique (2,6 %) et la mortalité non cardiovasculaire est similaire.
Comme lors de la précédente analyse, les patients inclus sous BB sont plus jeunes que ceux qui ne bénéficient pas de cette prescription, ce qui peut être aussi pris en considération.
A 5 ans, pas de bénéfice constaté chez les patients sous BB pendant au moins 1 an, sauf...
Les auteurs ont constaté une absence de gain de survie à 5 ans pour les patients qui sont toujours sous BB 1 an après leur infarctus : sur 1 383 patients dont les traitements étaient connus à 1 an, la mortalité à 5 ans était de 7,6 % chez les patients sous BB un an après leur sortie, contre 9,2 % chez ceux qui les avaient arrêtés avant :
Cette diminution n'est pas statistiquement significative, y compris en analyse multivariée ou en fonction du type de bêta-bloquants, sauf dans un sous-groupe : celui des patients sous statines.
A 5 ans, mortalité diminuée des patients sous bêta-bloquants ET sous statines pendant au moins 1 an
1 256 patients ont reçu à la fois des statines et des BB à la sortie de l'hôpital. Parmi ces 1 256 patients, 136 (10,8 %) avaient arrêté leur statine à 1 an.
Les auteurs ont donc pu comparer la mortalité chez les 1 120 qui avaient continué leur statine et les 136 qui les avaient arrêtées.
Ils ont constaté que la mortalité à 5 ans était de 5,8 % chez les patients encore sous statine à 1 an, contre 16,9 % chez ceux qui l'ont interrompue, ce qui représente une baisse de 68 % (p < 0,001). Cette baisse est encore de 58 % après ajustements, et est toujours significative (RR ajusté = 0,42 ; IC95 = 0,25 - 0,72 ; p = 0.001).
Les décès ne sont pas cardiovasculaires pour 56 % des patients hors statine à 1 an contre 36 % de ceux qui la prenaient toujours. Le risque de décès, de nouvel infarctus ou d'AVC est de 10,4 % chez les patients toujours sous BB et statine à 1 an, contre 21,3 % chez les patients ayant arrêté leur statine.
Confirmation de l'intérêt majeur des BB en cas d'insuffisance cardiaque associée
En analysant les données de cette cohorte, les auteurs confirment, au passage, que les patients insuffisants cardiaques ou à fraction d'éjection ventriculaire gauche abaissée voient leur mortalité doublée à 5 ans, comme attendu, lorsqu'ils arrêtent leur prescription de BB durant la première année post-infarctus (RR = 2,11 ; IC95 = 1,16 - 3,83 ; p = 0,014).
Des limites importantes à prendre en compte
Comme mentionné en introduction, les biais liés à la nature même de ce travail (étude observationnelle et non randomisée contrôlée) limitent la portée de cette étude.
D'autre part, ce sont les patient les plus sévèrement touchés qui ont reçu des BB d'emblée, ce que les analyses multivariées n'ont peut-être pas réussi à totalement prendre en compte, précisent les auteurs. De plus, ces patients, plus sévèrement atteints, réaliseraient davantage l'importance de la prévention secondaire, ce qui peut biaiser aussi les résultats.
Il est possible également que l'absence de prescription de BB ou leur arrêt avant 1 an soient liés à des facteurs non identifiés par les auteurs, même si le registre FAST-MI est très détaillé.
En conclusion : intérêt des bêta-bloquants à court terme, intérêt probable à 1 an, et à 5 ans si statines associées
Malgré ces limites, selon les auteurs, ces résultats vont dans le sens d'un intérêt, au moins à court terme, des BB administrés après un infarctus, même en l'absence d'insuffisance cardiaque associée.
La baisse de la mortalité constatée est largement significative à 30 jours, et l'est probablement à 1 an. A 5 ans, par contre, la baisse de la mortalité semble liée au maintien de la prise des statines, les BB seuls n'étant pas associés à une baisse.
Quant à la question du maintien à vie des bêta-bloquants, elle reste encore ouverte, les données de cette étude nécessitant confirmation avant une éventuelle adaptation des recommandations.
1 256 patients ont reçu à la fois des statines et des BB à la sortie de l'hôpital. Parmi ces 1 256 patients, 136 (10,8 %) avaient arrêté leur statine à 1 an.
Les auteurs ont donc pu comparer la mortalité chez les 1 120 qui avaient continué leur statine et les 136 qui les avaient arrêtées.
Ils ont constaté que la mortalité à 5 ans était de 5,8 % chez les patients encore sous statine à 1 an, contre 16,9 % chez ceux qui l'ont interrompue, ce qui représente une baisse de 68 % (p < 0,001). Cette baisse est encore de 58 % après ajustements, et est toujours significative (RR ajusté = 0,42 ; IC95 = 0,25 - 0,72 ; p = 0.001).
Les décès ne sont pas cardiovasculaires pour 56 % des patients hors statine à 1 an contre 36 % de ceux qui la prenaient toujours. Le risque de décès, de nouvel infarctus ou d'AVC est de 10,4 % chez les patients toujours sous BB et statine à 1 an, contre 21,3 % chez les patients ayant arrêté leur statine.
Confirmation de l'intérêt majeur des BB en cas d'insuffisance cardiaque associée
En analysant les données de cette cohorte, les auteurs confirment, au passage, que les patients insuffisants cardiaques ou à fraction d'éjection ventriculaire gauche abaissée voient leur mortalité doublée à 5 ans, comme attendu, lorsqu'ils arrêtent leur prescription de BB durant la première année post-infarctus (RR = 2,11 ; IC95 = 1,16 - 3,83 ; p = 0,014).
Des limites importantes à prendre en compte
Comme mentionné en introduction, les biais liés à la nature même de ce travail (étude observationnelle et non randomisée contrôlée) limitent la portée de cette étude.
D'autre part, ce sont les patient les plus sévèrement touchés qui ont reçu des BB d'emblée, ce que les analyses multivariées n'ont peut-être pas réussi à totalement prendre en compte, précisent les auteurs. De plus, ces patients, plus sévèrement atteints, réaliseraient davantage l'importance de la prévention secondaire, ce qui peut biaiser aussi les résultats.
Il est possible également que l'absence de prescription de BB ou leur arrêt avant 1 an soient liés à des facteurs non identifiés par les auteurs, même si le registre FAST-MI est très détaillé.
En conclusion : intérêt des bêta-bloquants à court terme, intérêt probable à 1 an, et à 5 ans si statines associées
Malgré ces limites, selon les auteurs, ces résultats vont dans le sens d'un intérêt, au moins à court terme, des BB administrés après un infarctus, même en l'absence d'insuffisance cardiaque associée.
La baisse de la mortalité constatée est largement significative à 30 jours, et l'est probablement à 1 an. A 5 ans, par contre, la baisse de la mortalité semble liée au maintien de la prise des statines, les BB seuls n'étant pas associés à une baisse.
Quant à la question du maintien à vie des bêta-bloquants, elle reste encore ouverte, les données de cette étude nécessitant confirmation avant une éventuelle adaptation des recommandations.
Quid des prescriptions BASI en France ? Dans un bilan HAS 2009 du programme Infarctus 2007-2010, la prescription BASI (BASIC sans le C, qui est non médicamenteux) globale en post-infarctus est estimée à 62 %. Elle s'avère plus importante chez les patients diabétiques et moindre après 80 ans (étude CNAM-TS, 2009). Le détail du traitement BASI analysé à 6 mois post-infarctus dans un registre de pratiques (RESCUe) retrouve les taux suivants : BB 74 %, anti-agrégants plaquettaires 88 à 90 %, statines 80 % et IEC 62 %. La prescription n'est donc pas encore systématique, malgré l'intérêt démontré, et confirmé par cette étude, de l'impact des bêta-bloquants. Quid de l'observance de ce traitement BASI en France ? Dans une étude des données de la Caisse Nationale d'Assurance Maladie (CNAM), Tuppin et coll. ont montré en 2010 une mauvaise observance ("non adherence") à 32 % pour les bêtabloquants, 24 % pour les statines, 22,7 % pour les IEC/ARA2, 18,3 % pour les anti-agrégants plaquettaires et de 50 % pour leur association. Au total, un patient sur deux ne suivait pas la prescription médicamenteuse BASI recommandée. |
Sophie Duméry et Jean-Philippe Rivière
En savoir plus :
L'étude objet de cet article
Etienne Puymirat, Elisabeth Riant, Nadia Aissoui et al. Beta-Blockers and mortality after myocardial infarction in patients without heart failure: multicentre prospective cohort study. BMJ 2016;354:i4801 http://dx.doi.org/10.1136/bmj.i4801
L'étude COMMIT
Chen ZM, Pan HC, Chen YP, et al. COMMIT (ClOpidogrel and Metoprolol in Myocardial Infarction Trial) collaborative group. Early intravenous then oral metoprolol in 45,852 patients with acute myocardial infarction: randomised placebo-controlled trial. Lancet 2005;366:1622-32. doi:10.1016/S0140-6736(05)67661-1.
L'étude REACH
Bangalore S, Steg G, Deedwania P, et al. REACH Registry Investigators. Beta-Blocker use and clinical outcomes in stable outpatients with and without coronary artery disease. JAMA 2012;308:1340-9. doi:10.1001/jama.2012.12559.
Les recommandations européennes et américaines en post-infarctus
ESC Guidelines for the management of acute myocardial infarction in patients presenting with ST-segment elevation. European Heart Journal (2012) 33, 2569–2619 doi:10.1093/eurheartj/ehs215
2013 ACCF/AHA Guideline for the Management of ST-Elevation Myocardial Infarction: Executive Summary. JACC 2013 ; 61 (4):485–510 http://dx.doi.org/10.1016/j.jacc.2012.11.018
Bilan HAS du programme post-infarctus en France
« Ensemble, améliorons la prise en charge de l'infarctus du myocarde » Bilan 2009, ÉTAPE 3 SUIVI POST-INFARCTUS APRÈS LA SORTIE DE L'HÔPITAL, HAS
Analyse de l'observance du traitement post-infarctus en France
Tuppin P, Neumann A, Danchin N et al. Evidence-based pharmacotherapy after myocardial infarction in France : adherence associated factors and relationship with 30-month mortality and rehospitalization. Arch Cardiovasc Dis, 2010 ; 103 : 363-375.
Sur VIDAL.fr :
VIDAL Reco "Post-infarctus"
VIDAL Reco "Infarctus du myocarde"
Infarctus du myocarde silencieux : vaste estimation de leur incidence et de leur pronostic (juin 2016)
Sources
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