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Hypothyroïdie fruste sans facteur de risque : 21 essais randomisés confirment l’inutilité d’un traitement

Selon la HAS, 1,9 % des hommes et 3,3 % des femmes en France présentent une hypothyroïdie fruste, caractérisée par une TSH modérément augmentée (> 4,5 et < 10 mUI/L) avec des taux normaux d’hormones thyroïdiennes circulantes.
 
La découverte d’une telle hypothyroïdie fruste est souvent suivie d’une prescription de lévothyroxine, malgré l’absence de recommandation officielle en ce sens.
 
La recommandation d'abstention thérapeutique est-elle justifiée ? Ou, au contraire, la prise d’hormones thyroïdiennes améliore-t-elle la qualité de vie ?
 
Afin d’en savoir plus, Martin Feller et al. ont effectué une méta-analyse et une revue systématique des essais cliniques randomisés, dont deux très récents, comparant les effets de la prise de lévothyroxine (ou de thyroxine) à un placebo ou à une abstention thérapeutique chez des adultes en hypothyroïdie fruste.
 
Les résultats de ce travail, publiés le 2 octobre 2018 dans le JAMA 1, ne montrent pas d’impact positif sur la qualité de vie et les symptômes ressentis.
 
Les auteurs estiment donc, au diapason de la HAS et de l’ANSM, qu’en cas d’hypothyroïdie fruste sans facteur de risque un tel traitement n’est pas nécessaire. 
Claire Lewandowski 11 octobre 2018 Image d'une montre6 minutes icon 11 commentaires
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Examen clinique de la glande thyroïde (illustration).

Examen clinique de la glande thyroïde (illustration).

 
Définition, prévalence et évolution de l'hypothyroïdie fruste
L'hypothyroïdie fruste, également appelée infraclinique, subclinique, asymptomatique ou occulte, se définit par "un taux de TSH > 4mUI/l, confirmé par un deuxième dosage à 1 mois, sans anomalie de la concentration de la T4L", résumait la Haute Autorité de Santé (HAS) en 2007 2.
 
L'hypothyroïdie fruste est plus fréquente chez les femmes (1,9 % des hommes et 3,3 % des femmes) et plus fréquente que l'hypothyroïdie avérée (0,1 à 2 %,  selon la revue Prescrire citée par l'ANSM en 2017 3) .
 
Elle est également plus souvent détectée chez les personnes de plus de 60 ans ou ayant des antécédents thyroïdiens ou de traitements à risque (amiodarone, lithium, interféron).
 
"Environ un tiers des hypothyroïdies frustes va évoluer vers une hypothyroïdie avérée", précise la HAS, tandis qu'"un autre tiers verra son taux de TSH se normaliser spontanément". Le dernier tiers des patients restera en hypothyroïdie fruste.
 
Il n'est pas recommandé en France de traiter une hypothyroïdie fruste mais, selon l'ANSM, l'augmentation continue des ventes de lévothyroxine (LEVOTHYROX, EUTHYRAL, THYROFIX, TCAPS et génériques)  semble indiquer un traitement de ces conditions, en sus des conséquences du surdiagnostic massif des cancers de la thyroïde depuis les années 90 (voir notre article sur ce constat effectué par l'OMS). D'où l'intérêt d'une analyse des conséquences d'un tel traitement.
 
Deux vastes essais cliniques publiés récemment permettent de faire une méta-analyse
C'est grâce à deux grands essais randomisés achevés récemment (Thyroid 2016 4,NEJM 2017 5) que l'équipe Suisse de Martin Feller a pu proposer cette méta-analyse inédite 1 sur les essais les plus récents ayant évalué la qualité de vie et les symptômes des personnes traitées par lévothyroxine (ou thyroxine pour 1 étude publiée en 2006) alors qu'elles présentent une hypothyroïdie fruste non compliquée.
 
Les auteurs ont sélectionné les essais cliniques les plus rigoureux, comportant un risque modéré de biais, parmi 3 086 études publiées sur l'hypothyroïdie infraclinique.
 
La bonne qualité globale des 21 études répondant aux critères d'inclusion a permis d'étudier précisément l'impact de l'hormonothérapie ou d'un placebo (ou d'une absence de traitement, pour 3 études sur 21) sur la qualité de vie en général (critère principal de cette étude).
 
Critère principal d'évaluation : la qualité de vie
Des paramètres cliniques et leurs variations ont pu aussi être évalués (critères secondaires) : la force musculaire, la tension artérielle, l'indice de masse corporelle, les symptômes dépressifs, la fatigue, les fonctions cognitives, les événements cardio-vasculaires et la mortalité.
 
Ces 21 études ont inclus au total 2 192 hommes et femmes (non enceintes), âgés de 32 à 74 ans et présentant des taux moyens de TSH compris entre 4,4 et 12,8 mIU/l.
 
Une baisse de la TSH, mais pas d'amélioration significative de la qualité de vie
Dans la plupart des études, l'intensité des symptômes était considérée comme légère à modérée.
 
Dans les groupes traités par hormonothérapie, les taux moyens de TSH à la fin de l'étude (de 3 à 18 mois de traitement) variaient entre 0,5 et 3,7 mIU/l, alors qu'ils étaient de 4,6 à 14,7 mIU/l dans les groupes placebo ou sans intervention.
 
Mais même si la plupart des études ont montré une amélioration significative de la TSH après le traitement, aucune d'entre elles n'a prouvé un bénéfice sur la qualité de vie.
 
Les 4 études évaluant cette qualité de vie (n = 796) montraient même une différence moyenne standardisée (DMS) très légèrement en faveur du placebo (DMS : -0,11; IC 95% =  -0,25 à 0,03).
 
Cette DMS constatée représente, en utilisant le questionnaire Euro Quality of life 5 dimensions (EQ 5D), une différence non significative entre les groupes "lévothyroxine ou thyroxine" et les groupes "placebo ou abstention thérapeutique" de 0,02 (IC95% = -0,01 à 0,05) en faveur du placebo.
 
Pas d'amélioration significative en termes de symptômes
La prise d'une hormonothérapie thyroïdienne n'est pas non plus associée à une amélioration  des critères secondaires :
  • Symptômes dépressifs (4 études ; n = 278) : DMS = - 0,10 pour les groupes traités (IC95 % = - 0,34 à 0,13) par rapport aux groupes placebo, là encore légèrement en faveur du groupe placebo.
  • Fonction cognitive (4 études ; n = 859) : DMS = 0,09 (IC95 % = - 0,05 à 0,22), différence en faveur de la lévothyroxine, mais non significative.
  • Force musculaire évaluée sur la poignée de main (2 études ; n = 695) : DMS = 0,1 (IC95 % = - 0,1 à 0,2), différence légèrement en faveur de la lévothyroxine, mais encore non significative.
  • Pression artérielle systolique (8 études ; n = 1 372) : DMS = - 0,7 mmHg (IC95 % = - 2,6 à 1,2), non significative.
  • Indice de masse corporelle (15 études ; n = 1 633) : DMS =0,2 kg (IC95 % = - 0,4 à 0,8), non significative.
  • Fatigue, survenue d'évènements cardiovasculaires, mortalité, effets secondaires du traitement : seule l'étude TRUST (NEJM 2017 5), étude la plus large de cette méta-analyse (n = 737 participants randomisés) a évalué ces données. Aucun bénéfice ou effet indésirable significatif n'a été relevé.
 
Attention : les femmes enceintes, davantage à risques, n'ont pas été incluses dans cette méta-analyse
L'hypothyroïdie fruste augmente "le risque d'hématome rétro-placentaire, de prématurité et de détresse respiratoire néonatale chez la femme enceinte", résume la HAS 2.
 
Dans ce cas particulier, le traitement peut être justifié lorsque la TSH est supérieure à 4 mUI/l, avec un objectif thérapeutique de moins de 2.5 mUI/l. Un taux de TSH > 3 mUI/l doit faire renforcer la surveillance avec un contrôle tous les mois et un dosage des anticorps anti- thyroperoxydase (anti-TPO) et de la T4 libre.
 
Un rapport bénéfices – risques n'allant pas dans le sens d'un traitement des hypothyroïdies infracliniques
Cette méta-analyse confirme donc le manque de preuves d'utilité d'une prise d'hormones thyroïdiennes en cas d'hypothyroïdie fruste, en l'absence d'une grossesse. Pour les auteurs, "ces résultats ne soutiennent pas l'utilisation systématique de l'hormonothérapie thyroïdienne chez les adultes atteints d'hypothyroïdie infraclinique".
 
Une telle hormonothérapie n'est d'ailleurs pas recommandée (cf. arbre décisionnel de la HAS ci-dessous). Mais malgré l'absence de recommandations allant en ce sens, plus de 90 % des personnes atteintes d'hypothyroïdie fruste avec un taux de TSH inférieur à 10 mUI/l seraient traitées par hormones thyroïdiennes, selon les études européennes, américaines et brésiliennes analysées par les auteurs.
 
Or traiter un patient qui ne nécessite pas d'hormonothérapie n'est pas anodin : non seulement cela augmente le risque d'interactions médicamenteuses, mais aussi les risques d'hyperthyroïdie, voire d'arythmies, d'angor, de perte osseuse et de fractures, surtout chez les personnes âgées de plus de 65 ans, rappelaient récemment Rodriguez-Gutierrez R. et al.6, cités par les auteurs.
 
HAS : ne faire des dosages de TSH que chez les personnes à risque
Afin d'éviter les surtraitements inutiles, la HAS préconise de ne pas effectuer de manière systématique des dosages de la TSH devant des symptômes non spécifiques, mais de le faire par contre pour les personnes à risques : "signes cliniques évocateurs, goitre, hypercholestérolémie, antécédents thyroïdiens, autoimmunité thyroïdienne, irradiation cervicale, traitement à risque (amiodarone, lithium, interféron, autres cytokines)".   
 
La HAS, au diapason des résultats de cette étude, recommande donc l'administration de lévothyroxine uniquement en cas de TSH supérieure à 10 ou d'anticorps anti-TPO positifs avec des signes cliniques ou biologiques très évocateurs sur un terrain à haut risque cardiovasculaire :



Claire Lewandowski et Jean-Philippe Rivière
 
En savoir plus :
  1. L'étude objet de cet article : Feller M et al. Association of Thyroid Hormone Therapy With Quality of Life and Thyroid-Related Symptoms in Patients With Subclinical Hypothyroidism: A Systematic Review and Meta-analysis. JAMA. 2018 Oct 2;320(13):1349-1359.
  2. Hypothyroïdie fruste chez l'adulte, diagnostic et prise en charge, Haute Autorité de Santé, avril 2007
  3. Enquête de pharmacovigilance LEVOTHYROX, ANSM, octobre 2017
  4. Zhao M, Liu L,Wang F, et al. A worthy finding: decrease in total cholesterol and low-density lipoprotein cholesterol in treated mild subclinical hypothyroidism. Thyroid. 2016;26(8):1019-1029.
  5. Stott DJ, Rodondi N, Kearney PM, et al; TRUST Study Group. Thyroid hormone therapy for older adults with subclinical hypothyroidism. N Engl J Med. 2017;376(26):2534-2544.
  6. Rodriguez-Gutierrez R, Maraka S, Ospina NS, Montori VM, Brito JP. Levothyroxine overuse: time for an about face? Lancet Diabetes Endocrinol. 2017; 5(4):246-248.
 
Sur VIDAL.fr :
VIDAL Reco Hypothyroïdie : cas particulier "hypothyroïdie fruste"
Cancer de la thyroïde : face au surdiagnostic massif et ses conséquences, le CIRC appelle à la prudence (août 2016)
Sources

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Dabdoubi Il y a 5 ans 1 commentaire associé
j'ai beaucoup aimé l'article .merci bien. chez la femme enceinte, continuer le traitement jusqu’à quand SVP ?
Modérateur Médecine générale Il y a 5 ans 0 commentaire associé
Bonjour, Merci pour votre commentaire. Il faut le continuer pendant toute la grossesse. L'allaitement est également possible sous Levothyroxine. Bien à vous
Djemila Freifer Il y a 5 ans 1 commentaire associé
Quen est il de Ashimoto.
Modérateur Médecine générale Il y a 5 ans 0 commentaire associé
Bonjour, Les auteurs de cet article ne parlent pas du cas de l'hypothyroïdie constatée en cas de thyroîdite d'Hashimoto. A priori tout dépend de la "profondeur" de l'hypothyroïdie : si l'hypothyroïdie est bien constituée, le traitement hormonal substitutif est recommandé www.sciencedirect.com Bien à vous
Docteur Il y a 5 ans 0 commentaire associé
Bjr oui en effet la prescription de levothyxine ne cesse d'augmenter ces dernières années pour un dosage élevé de TSH sans tenir compte de l'absence des symptômes merci infiniment de ce message bien clair.
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