#Santé publique #COVID-19

La clé parfaite du pangolin, un voyage aux origines du SARS-CoV-2

Depuis quelques semaines, un mammifère à écailles a fait son nid dans nos conversations : le pangolin asiatique. Pourquoi ce timide animal sylvestre et nocturne, grand amateur de fourmis, est-il soudain devenu l'objet de notre intérêt ? Pour vous distraire de l'infobésité clinique et thérapeutique autour de la COVID-19, VIDAL vous entraîne sur les traces du pangolin asiatique, à la recherche des origines du SARS-CoV-2.
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Un animal très recherché et très étudié (illustration).

Un animal très recherché et très étudié (illustration).


Les pangolins vivent en Asie du Sud-Est et en Afrique. Celui qui nous intéresse aujourd'hui est le pangolin asiatique (Manis javanica), un animal bourré de particularités : ses écailles de kératine, son absence de dents, ses narines et ses oreilles capables de se fermer hermétiquement (pour éviter les attaques de fourmis), sa vue basse (mais son odorat très développé) et, étrangement, son immunité approximative (et très affaiblie par le froid).
 
Un animal discret sous les feux de la rampe
Conserver et reproduire des pangolins en captivité est une performance que seuls quelques zoos chinois et taïwanais peuvent prétendre maîtriser.
Même s'il vous fait penser à un tatou ou à un fourmilier, le pangolin est, sur le plan phylogénétique, plus proche de l'ours, du chat ou du chien, que de ces autres mammifères myrmécophages (qui mangent les fourmis).
 
L'écaille de pangolin, une soi-disant panacée
Malgré son statut d'espèce protégée dans 186 pays, les pangolins font l'objet d'un braconnage implacable : chaque année, en Afrique, on estime qu'entre 500 000 et 2,7 millions de pangolins sont chassés. En avril 2019, les douanes de Singapour ont saisi deux chargements d'écailles de pangolin d'environ 14 tonnes chacun, en provenance du Nigéria, correspondant à un massacre d'environ 72 000 pangolins ! En mai 2019, 4 tonnes étaient saisies au Vietnam. En effet, en Chine et en Asie du sud-est, les écailles de pangolins entrent dans la préparation de très nombreux médicaments traditionnels contre l'arthrose, le cancer ou l'infertilité, pour favoriser l'allaitement, etc.
 
Le gigot de pangolin, sur les meilleures tables asiatiques
De plus, la viande de pangolin est un met extrêmement recherché par les personnes fortunées en Chine et au Vietnam. Le pangolin asiatique fait, quasiment seul, les frais de cette pratique culinaire, les pangolins africains n'étant chassés que pour leurs écailles.
En effet, la tradition chinoise préfère cuisiner les animaux fraîchement abattus, ce qui impose l'achat d'un animal vivant (pour 1 000 à 2 000 € par animal).
Ainsi, des pangolins vivants arrivent de toute l'Asie du Sud-Est sur les marchés chinois où ils côtoient de nombreuses espèces sauvages, dont les chauves-souris, autre délice local. Sous des températures bien plus basses que celles de leurs forêts tropicales natales, ce qui les expose aux conséquences de l'immunodépression.
 
L'hôte d'un coronavirus qui jette le trouble
En 2019, avant même que nous entendions parler de la COVID-19, une équipe chinoise a publié ses travaux sur la nature des virus présents chez les pangolins asiatiques. Les virus prédominants dans cette espèce semblent être les coronavirus et le virus Sendai.
Lorsque l'épidémie de COVID-19 a éclaté et qu'un bêta-coronavirus a été rapidement mis en cause, les virologistes chinois se sont naturellement tournés vers cette récente bibliothèque de génomes viraux propres au pangolin. Ils ont alors identifié de troublantes similarités entre le SARS-CoV-2 et un coronavirus pangolin identifié en 2019.
La similarité génétique globale de ce coronavirus avec le SARS-CoV-2 est certes moindre que celle observée avec le coronavirus RaTG13/2013 de la chauve-souris Rhinolophus affinis (85,5-92,4 % de gènes similaires pour le virus du pangolin versus 96 % pour RaTG13/2013). Mais, en regardant au niveau des gènes codant pour le RBD (receptor binding domain) du coronavirus du pangolin, les virologistes ont réalisé que, sur les 6 acides aminés impliqués dans la région des protéines virales qui se lie aux récepteurs de l'enzyme de conversion de l'angiotensine 2 (ACE2), il y avait une similitude parfaite entre le virus du pangolin et le SARS-CoV-2 : 6 acides aminés sur 6 ! Alors que RaTG13/2013 n'a, dans cette région, qu'un seul acide aminé en commun avec le SARS-CoV-2.
Ainsi, ce coronavirus du pangolin, probablement inadapté pour prospérer dans des cellules humaines, possède néanmoins la clé parfaite pour y pénétrer ! Ce qui est cohérent lorsqu'on compare le gène de l'ACE2 dans les deux espèces : 84,8 % de similarités entre celui de l'homme et celui du pangolin (alors qu'il n'y a "que" 80,8 à 81,4 % de similarité entre celui de l'homme et celui de la chauve-souris Rhinolophus). À serrure très similaire, il est logique que la clé le soit aussi.
 
Pangolins et chauves-souris : rendez-vous nocturne dans les bégonias
Comme le raconte le Pr Didier Sicard dans un article de Libération et un entretien sur France Culture, les pangolins et les chauves-souris ont, en Asie du Sud-Est, une passion commune pour des arbres fruitiers de la famille des Bégoniacées. Les chauves-souris dévorent les fruits et défèquent sur les arbres. Les pangolins viennent s'y rassasier de fourmis, attirées elles aussi par les fruits.
Que s'est-il passé cette nuit-là dans les bégonias ? Une chauve-souris a-t-elle été infectée par un coronavirus pangolin ? Un pangolin a-t-il été infecté par un coronavirus RaTG13/2013 ? Toujours est-il qu'est probablement né un coronavirus « calvimurin » RaTG13/2013 doté d'un RBD "pangolinesque", un enfant naturel hébergé chez l'une ou l'autre espèce (ou ailleurs). Mais, ce dont on est sûr, c'est que ce nouveau coronavirus (appelons-le coronavirus pangolino-calvimurin) n'est PAS le SARS-CoV-2. Car l'histoire se complique…
 
Le SARS-CoV-2 et son site de clivage polybasique inédit à ce jour
Le SARS-CoV-2 possède une particularité que n'ont ni le SARS-CoV, ni le MERS-CoV, ni RaTG13/2013, ni le coronavirus du pangolin. Rappel préliminaire : les protéines de pointe (spike proteins) qui forment la couronne des coronavirus sont composées de 2 sous-unités, S1 et S2. La première assure la liaison avec le récepteur cible (elle porte le RBD), la seconde assure la fusion de l'enveloppe virale avec la membrane cellulaire (via un clivage entre les 2 sous-unités sous l'action de la protéase transmembranaire TMPRSS2 – ou sérine 2, qui expose le peptide de fusion).
Chez SARS-CoV-2, cette zone de clivage S1-S2 est dite "polybasique" : une molécule de proline est insérée en amont du site de clivage habituel, ce qui donne au site une forme plus propice au clivage et pourrait être un facteur de plus grande infectiosité chez les virus qui possèdent ce type de site de clivage polybasique.
La question se pose donc : comment le SARS-CoV-2 a-t-il acquis ce site de clivage unique qui n'est présent ni chez le coronavirus pangolin, ni chez RaTG13/2013 ? Car il ne s'agit pas ici de la mutation d'un gène existant, mais de l'insertion d'un codon de la proline à un endroit bien particulier du génome viral.
 
Comment le coronavirus pangolino-calvimurin s'est-il enrichi d'un site de clivage polybasique ?
À ce niveau de l'enquête, deux hypothèses se présentent. Soit le SARS-CoV-2 a acquis cette particularité chez un hôte animal, pangolin, chauve-souris ou autre. Soit il l'a acquise chez l'homme après contamination par le susnommé coronavirus pangolino-calvimurin. Actuellement, le seul moyen de confirmer la première hypothèse est de continuer à identifier et à séquencer des coronavirus animaux jusqu'à peut-être trouver un hôte animal du SARS-CoV-2, ou un bêta-coronavirus à site de clivage polybasique chez le pangolin ou la chauve-souris, ou toute autre forme d'ancêtre animal du SARS-CoV-2.
Concernant la seconde hypothèse, dans un article remarquable sur les origines du SARS-CoV-2, Kristian G. Andersen et ses collègues rappellent que certains bêta-coronavirus humains, comme HCoV-HKU1, possèdent un site de clivage polybasique. Il est donc possible que la co-contamination humaine avec l'un de ces bêta-coronavirus humains et le bêta-coronavirus pangolino-calvimurin ait fini par aboutir au SARS-CoV-2.
 
Les enseignements du MERS-CoV
Ces auteurs rappellent également une particularité du MERS qui jette une possible lumière sur ce qui pourrait s'être passé. Les épisodes de MERS se passent toujours selon un scénario similaire : un patient infecté par un dromadaire qui infecte un petit nombre de personnes autour de lui (une "courte chaîne de transmission" qui s'éteint rapidement). Depuis 8 ans, les 2 500 cas de MERS recensés ont toujours obéi à ce scénario, sans jamais provoquer d'épidémie.
Selon ces auteurs, il est possible qu'un jour la répétition de ces infections "quasi sporadiques" finisse par aboutir à une recombinaison qui augmente l'infectiosité du MERS-CoV, soit par recombinaison avec les gènes d'un coronavirus humain à site de clivage polybasique, soit par un grand nombre de répétitions de la réplication virale jusqu'à modification spontanée du génome viral (et apparition de ce site particulier sur un MERS-CoV).
Ils citent comme exemple le virus de la maladie de Newcastle, un paramyxovirus (virus à ARN) qui provoque une maladie de la volaille et qui est dépourvu de site de clivage polybasique. Mis en culture et repiqué suffisamment longtemps, ce virus finit par acquérir spontanément un site de clivage polybasique.
 
L'hypothèse d'un virus primitif circulant depuis longtemps chez l'homme
L'hypothèse du virus primitif pangolino-calvimurin évoluant chez l'homme n'est pas contredite par les enquêtes sérologiques. Par exemple, dans le cas du SARS-CoV, la recherche systématique d'anticorps contre ce virus, chez des personnes qui n'avaient jamais présenté de symptômes, a révélé que 13 % des importateurs d'animaux sauvages en Chine avaient des anticorps contre le SARS-CoV… et 72 % des importateurs de civettes (l'animal hôte de ce virus) !
Ainsi, l'hypothèse d'un coronavirus pangolino-calvimurin primitif circulant largement, silencieusement et depuis longtemps, chez les personnes faisant commerce de chauves-souris, de pangolins ou autres, n'est donc pas déraisonnable.


(Edit 15 mai 2020) : Une équipe chinoise vient d'identifier un nouveau coronavirus de la chauve-souris rhinolophe, RmYNO2. Ce virus est le premier bêtacoronavirus de chauve-souris à présenter un site polybasique dans la zone de clivage S1-S2 (par insertion de 3 acides aminés, différents des 4 insérés chez SARS-Cov-2). Ce nouveau virus est assez proche de SARS-CoV-2 (93,3 % de gènes communs) mais moins que RaTG13/2013. Son RBD est très différent et le rend probablement incapable de se lier à ACE2. Ce nouveau virus n'est pas un ancêtre de SARS-CoV-2 mais il montre qu'un site de clivage polybasique peut apparaître spontanément chez des bêtacoronavirus dans cette espèce.
 
Pour aller plus loin
 L'étude de 2019 sur les virus présents chez les pangolins asiatiques
Ping L, Chen W et Chen JP. Viral Metagenomics Revealed Sendai Virus and Coronavirus Infection of Malayan Pangolins (Manis javanica)  Viruses 2019, 11(11), 979.
 
Les études sur les similarités entre SARS-CoV-2 et le coronavirus du pangolin
Lam TT, Shum MH, Zhu H et al. Identifying SARS-CoV-2 related coronaviruses in Malayan pangolins. Nature (2020).
  
Zhang T, Wu QF et Zhang ZG. Probable Pangolin Origin of SARS-CoV-2 Associated with the COVID-19 Outbreak. 2020. Current Biology 30, 1-6.
 
L'article et l'entretien du Pr Didier Sicard
Sicard D. L'indispensable recherche sur la transmission de l'animal à l'homme. Libération, 22 mars 2020.
 
Sicard D. Il est urgent d'enquêter sur l'origine animale de l'épidémie de Covid-19. France Culture. 27 mars 2020.
 
L'article de Kristian G. Andersen et al. sur les hypothèses d'évolution qui ont mené au SARS-CoV-2
Andersen KG, Rambault A, Lipkin WI et al. The Proximal Origin of SARS-CoV-2. Nat Med. 2020 Mar 17 : 1-3.
 
L'étude épidémiologique sur les sérologies SRAS chez les négociants d'animaux exotiques en Chine
Centers for Disease Control and Prevention (CDC). Prevalence of IgG antibody to SARS-associated coronavirus in animal traders - Guangdong Province, China, 2003. MMWR Morb. Mortal. Wkly. Rep. 52 , 986–987 (2003).

 
Sources

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Infirmier Il y a 4 ans 0 commentaire associé
Thanks
milie Il y a 4 ans 0 commentaire associé
très interessant
lolo80 Il y a 4 ans 0 commentaire associé
Excellent
Marthe Il y a 4 ans 0 commentaire associé
article passionnant
Croquette Il y a 4 ans 0 commentaire associé
Super article, merci merci
j36 Il y a 4 ans 0 commentaire associé
Exellent article qui nous permet de mieux comprendre les chemins de mutation des virus. A faire lire à nos "experts " en urgence avec interrogation écrite ensuite pour voir s'ils ont tout compris.....
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