Chez l'enfant, l'ingestion d'une pile bouton peut entraîner des lésions majeures.
Le nombre de cas d’ingestion accidentelle de pile bouton par des enfants augmente régulièrement chaque année en France et dans le monde. Coincées dans l’œsophage, ces piles provoquent rapidement de graves nécroses pouvant se compliquer en fistules œsotrachéale ou œso-aortique, de sombre pronostic.
En février 2022, la Haute Autorité de santé (HAS) et la Société de toxicologie clinique (STC) ont publié des recommandations sur la prise en charge d’un enfant ayant ingéré une pile bouton. Elles déterminent la bonne intervention au bon moment pour chacun des professionnels confrontés à la situation, dans le contexte de cette urgence extrême (lésions sévères dès la 2e heure après l’ingestion). Sans qu'une justification soit donnée, ces recommandations ne mentionnent pas les solutions d’atténuation du risque de brûlure (administration répétée de miel ou de sucralfate en attendant l’extraction de la pile) conseillées dans d’autres pays.
Face aux risques élevés de cette ingestion de plus en plus fréquente, il est indispensable que les professionnels de santé de premier recours, y compris les pharmaciens, ainsi que ceux de la petite enfance, se familiarisent avec les symptômes et les signes de gravité et se préparent à agir rapidement face à toute ingestion suspectée ou confirmée, en particulier chez un enfant de moins de 5 ans.
Les piles bouton ou piles plates sont présentes dans tous les foyers car elles alimentent désormais de nombreux appareils électroniques domestiques : télécommandes, montres, clefs, jouets pour enfants, aides acoustiques, etc. Accidentellement ingérées, ces piles présentent un risque potentiellement mortel en raison de leur toxicité : le courant électrique généré par la pile en contact avec l’humidité des tissus provoque une hydrolyse rapide de l'eau en ions hydroxydes (pH très alcalin de 10-13), responsables de brûlures chimiques (nécrose liquéfiante) de ces tissus. Les enfants, en particulier ceux âgés de moins de 5 ans, sont les plus exposés au risque de complication potentiellement létale. En cas d’ingestion, il est donc primordial de réagir très vite.
De plus en plus de cas d’ingestion de piles bouton
Bien que cette problématique ne soit pas récente et que des actions de santé publique aient déjà été menées pour sensibiliser les parents, on constate en France une augmentation des cas d’ingestion de piles bouton [1]. Entre 1999 et 2015, 4 030 cas d’ingestion accidentelle ont été recensés en France (266 +/- 99 par an en moyenne, avec une augmentation au fil des années), donc 21 cas graves et 2 décès. Dans plus de la moitié des cas, cette ingestion se passe sans témoin (ou est faussement signalée comme l’ingestion d’une pièce de monnaie dans le cas des piles plates de grand diamètre), ce qui complique la prise en charge et rend systématique la suspicion de ce type d’ingestion lors de symptômes digestifs ou respiratoires inexpliqués chez le jeune enfant. À noter qu’aux États-Unis, 20 % des cas d’ingestion concernent… des adultes ! [2] (chiffres non disponibles pour la France).
Un risque de complications potentiellement létales
La potentielle gravité de l’ingestion d’une pile bouton s’explique par les brûlures et la nécrose occasionnées par ce type de pile, en particulier lorsque celle-ci reste bloquée dans l’œsophage (« pile œsophagienne »). Ces brûlures sont particulièrement sévères du côté du pôle négatif de la pile (la partie non marquée).
Dans un modèle animal sur l’œsophage de porcelet, les premières lésions visibles apparaissent dès la 15e minute de contact avec la pile [3]. Le risque de complication grave est particulièrement important dès la 2e heure après l’ingestion, ce qui implique une prise en charge en extrême urgence.
Ce risque de complication grave est particulièrement important chez les enfants de moins de 5 ans et lors de l’ingestion d’une pile de grand diamètre (15 mm et plus), ainsi que lors de l’ingestion d’une pile puissante (pile au lithium). Dans une étude observationnelle canadienne [4], ces trois paramètres étaient impliqués dans 90 % des cas de complications graves.
Les lésions de nécrose liquéfiante au niveau de l’œsophage peuvent provoquer une fistule œsotrachéale (la plus fréquente des complications sévères), voire d’une fistule œso-aortique [1]. Il est à noter que des complications peuvent apparaître plusieurs jours, voire plusieurs semaines, après l’extraction de la pile, ce qui justifie un suivi attentif de l’enfant lorsque des lésions nécrosantes ont été constatées lors cette extraction.
Les symptômes de l’ingestion d’une pile bouton
L’ingestion d’une pile bouton chez un petit enfant doit être suspectée lors de l’apparition inexpliquée de certains symptômes :
- dysphagie, refus de s’alimenter, vomissements ;
- toux, difficultés à respirer, douleurs thoraciques ;
- modification de la voix (les paralysies mono- ou bilatérales des cordes vocales sont fréquentes) ;
- salivation excessive ;
- fièvre.
Les signes de gravité les plus fréquents sont :
- pâleur et malaise persistants ;
- vomissements sanguinolents ;
- détresse respiratoire ;
- instabilité hémodynamique.
Chez un petit enfant suspecté d’avoir avalé une pile bouton, tout saignement digestif, même minime, des signes d’anémie ou d’instabilité hémodynamique doivent être considérés comme des signes précurseurs d’une lésion vasculaire d’extrême gravité.
La conduite à tenir face à une (suspicion d’) ingestion de pile bouton
En février 2022, la Haute Autorité de santé (HAS) et la Société de toxicologie clinique (STC) ont publié des recommandations [5] sur la prise en charge d’un enfant ayant ingéré une pile bouton ou suspecté de l’avoir fait. Ces dernières déterminent la bonne intervention au bon moment pour chacun des professionnels confrontés à la situation. La rapidité de réaction de chacun est en effet essentielle car, même en cas de doute, l’ingestion d’une pile bouton constitue une urgence. Des arbres décisionnels sont déclinés pour chaque situation (en particulier présence ou non d’un témoin) [6]. Selon ces recommandations, chaque minute compte : il ne faut pas perdre de temps devant l’ingestion d’une pile bouton, que l’ingestion soit avérée ou simplement supposée. Il est recommandé de laisser l’enfant à jeun sans tenter de le faire vomir et d’appeler le 15 ou un centre antipoison, afin de déclencher sans délai l’évaluation et la prise en charge adaptée de l’enfant.
Pouvoir adresser l’enfant à un centre capable de le prendre en charge immédiatement, voire réaliser l’hémostase d’une lésion artérielle pédiatrique, est essentiel et les professionnels de santé sont invités à identifier leur filière locale en amont d’une éventuelle urgence [7].
L’extraction de la pile par endoscopie digestive haute est le plus souvent indispensable et permet d’observer directement les éventuelles lésions de nécrose. Chez les enfants de plus de 5 ans, ayant avalé une pile de moins de 15 mm de diamètre qui a atteint l’estomac, un suivi sans extraction est parfois décidé, avec enrichissement du régime alimentaire en fibres, pratique régulière d’une activité physique et contrôle du cheminement de la pile par radiographie. Mais ce type de suivi reste l’exception.
Des solutions d’atténuation qui ne sont pas évoquées par la Haute Autorité de santé
Sans explication, les recommandations de la HAS et de la STC ne mentionnent pas de possibles solutions d’atténuation du risque de brûlure (neutralisation de l’environnement alcalin), destinées à être appliquées en attendant la prise en charge dans un centre hospitalier.
Dans les deux heures après une ingestion connue, au domicile ou pendant le transport, le National Capital Poison Center (NCPC, centre antipoison national aux États-Unis), par exemple, recommande [3] l’administration régulière (toutes les 10 minutes) de 10 mL de miel ou de sucralfate (KEAL, ULCAR) (10 mL = 2 cuillerées à dessert). Le miel ne concerne que les enfants âgés de plus de 12 mois. Les recommandations du NCPC suggèrent d'administrer jusqu'à 6 doses avant l’admission hospitalière et 3 doses supplémentaires en milieu hospitalier.
L’administration de miel ou de sucralfate est destinée à empêcher la génération locale d'hydroxyde, retardant ainsi les brûlures alcalines des tissus adjacents. L'efficacité s'appuie sur une étude de 2018 [8] évaluant les effets protecteurs in vitro de divers liquides dans l'œsophage cadavérique de porc et les effets protecteurs in vivo du miel et du sucralfate par rapport aux irrigations salines de piles placées dans l'œsophage de porcelets vivants. Dans cette étude, le miel et le sucralfate ont tous deux empêché efficacement l'augmentation attendue du pH induite par les piles et ont réduit la profondeur des lésions œsophagiennes qui en résultaient.
Un suivi prolongé pour les enfants victimes d’ingestion de pile bouton
Comme indiqué précédemment, les complications de l’ingestion d’une pile bouton peuvent se manifester plusieurs jours ou semaines après l’extraction de la pile. L’HAS a publié un modèle de lettre aux parents [9] les mettant en garde à ce sujet. Parmi ces complications retardées, on peut citer des sténoses œsophagiennes, sous-glottales, voire trachéales (avec des cas de trachéomalacie signalés). Dans leurs recommandations, la HAS et la STC conseillent une surveillance pendant un mois (de 6 à 8 semaines aux États-Unis).
En conclusion, face à l’augmentation continue du nombre de cas d’ingestion de pile bouton par des enfants, il est indispensable que les professionnels de santé de premier recours, y compris les pharmaciens, se familiarisent avec les symptômes et les signes de gravité et se préparent à agir rapidement face à toute suspicion, en particulier chez un enfant de moins de 5 ans.
Dans leurs recommandations, la HAS et la STC préconisent également la mise en place d’actions répétées d’information auprès du grand public, des professionnels de la petite enfance, ainsi que des professionnels de santé sur les risques liés à l’ingestion d’une pile bouton. Elles recommandent également de travailler avec les industriels responsables de la mise sur le marché des piles bouton, y compris au niveau européen, pour favoriser la fabrication et l’utilisation de piles bouton d’un diamètre inférieur à 15 mm, mais aussi pour sécuriser les appareils fonctionnant avec ces piles.
[1] Labadie M, O’Mahony E, Capaldo L et al. Severity of button batteries ingestions: data from French Poison Control Centres between 1999 and 2015. Eur J Emerg Med, 2018; 25(4) e1-e8. doi: 10.1097/MEJ.0000000000000528.
[2] Sethia R, Gibbs H, Jacobs IN et al. Current management of button battery injuries. Laryngoscope Investig Otolaryngol, 2021; 6: 549-563. doi: 10.1002/lio2.535.
[3] Button Battery Ingestion Triage and Treatment Guideline. National Capital Poison Center, 2018.
[4] Philteos J, James AL, Propst EJ et al. Airway Complications Resulting From Pediatric Esophageal Button Battery Impaction: A Systematic Review. JAMA Otolaryngol Head Neck Surg, 2022; 148(7): 677-683. doi: 10.1001/jamaoto.2022.0848.
[5] Diagnostic et prise en charge des enfants ayant ingéré une pile bouton ou une pile plate. Recommandation, Haute Autorité de santé, 14 février 2022.
[6] Algorithmes de prise en charge : Régulation de la prise en charge d’un enfant ayant ingéré une pile bouton, Haute autorité de santé, février 2022.
[7] Ingestion d’une pile bouton par un enfant - Pour les professionnels de santé de premier recours. Fiche technique, Haute Autorité de santé, février 2022.
[8] Anfang RR, Jatana KR, Linn RL et al. pH-neutralizing esophageal irrigations as a novel mitigation strategy for button battery injury. Laryngoscope, 2019; 129(1): 49-57. doi: 10.1002/lary.27312.
[9] Modèle de lettre aux parents après le retrait d’une pile bouton. Haute Autorité de santé, février 2022.
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