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Étude IATROSTAT : la part évitable des effets indésirables médicamenteux 

L' étude prospective IATROSTAT, réalisée en 2018 par le réseau de pharmacovigilance français, montre que les effets indésirables médicamenteux conduisant à une hospitalisation sont en augmentation. Elle a aussi permis d'examiner leur caractère évitable ou non.

Élisabeth LECA 17 octobre 2022 Image d'une montre11 minutes icon Ajouter un commentaire
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De la nécessité d'actions de prévention ciblées.

De la nécessité d'actions de prévention ciblées.

Résumé

Une étude prospective (IATROSTAT 2018) a été réalisée par le réseau français des 31 centres régionaux de pharmacovigilance (CRPV), sur un échantillon de services de court séjour du secteur public hospitalier de France métropolitaine, qui ont été tirés au sort.

Elle montre que 8,5 % des patients hospitalisés l’ont été en raison d’un effet indésirable médicamenteux (EIM) avec un taux de mortalité de 1,3 %. Dans 16 % des cas, les EIM auraient pu être évités, car les médicaments en cause étaient utilisés de façon non conforme au résumé des caractéristiques du produit (RCP) ou aux recommandations de sociétés savantes et cette non-conformité expliquait la survenue de l’EIM.

L’extrapolation de ces résultats a permis d’estimer à 212 500 le nombre annuel d’hospitalisations liées à un EIM et à environ 2 760 celui des décès annuels subséquents en France.

Par rapport à la dernière étude nationale menée il y a plus de dix ans par les CRPV, à la méthodologie proche de celle de IATROSTAT, la iatrogénie médicamenteuse conduisant à une hospitalisation est en augmentation.

Elle concerne plus souvent les personnes âgées. De plus, les nouvelles classes pharmacologiques (thérapies ciblées, anticoagulants oraux directs, incrétinomimétiques, etc.) sont désormais à l'origine d'une part importante des effets indésirables médicamenteux.

L’examen de la part d’« évitabilité » des EIM est le point fort de ce travail, car il permet d’envisager des mesures de prévention. Cette part est néanmoins sous-estimée puisque la méthodologie de l’étude ne prenait pas en compte la pertinence de la prescription, c’est-à-dire les prescriptions « conformes », mais non pertinentes : le traitement était-il réellement nécessaire ? était-il le meilleur choix pour ce patient ? etc.

Ces éléments doivent amener à engager des actions de prévention ciblées sur les classes médicamenteuses les plus à risque, une promotion du bon usage des médicaments, qui passe certes par le respect des résumés des caractéristiques du produit (RCP), mais surtout par l’accessibilité à des stratégies thérapeutiques actualisées en permanence permettant d’orienter le prescripteur vers le meilleur choix thérapeutique.

L’étude EMIR [1], mise en place en 2007 par les centres régionaux de pharmacovigilance (CRPV), avait estimé l’incidence des hospitalisations liées aux effets indésirables médicamenteux (EIM) à 3,6 %. Depuis, des actions de prévention ont été menées, de nouvelles classes pharmacologiques ont été mises sur le marché (anticoagulants oraux directs, incrétinomimétiques, thérapies ciblées/immunothérapies, etc.), et des affaires sanitaires liées aux médicaments ont été médiatisées.

Ces éléments, ayant pu modifier le profil de la iatrogénie médicamenteuse, l’étude prospective IATROSTAT [2], de méthodologie rigoureuse, a été entreprise en 2018 sous la coordination des CRPV, dont l’objectif principal était également d’estimer la fréquence des hospitalisations liées à un EIM en France métropolitaine. S’y ajoutait l’examen, autant que faire se peut, de leur caractère évitable ou inévitable.

Une méthodologie très rigoureuse

Des services de spécialités médicales des hôpitaux publics de court séjour ont été tirés au sort et attribués aux 31 CRPV français entre les 10 avril et 14 juillet 2018. Le choix du service de chaque établissement était effectué de façon aléatoire, mais de manière à couvrir toutes les spécialités médicales. Les patients admis pendant 14 jours consécutifs dans ces services ont été inclus dans l’étude.

Pour obtenir environ 200 cas d’EIM, nombre considéré comme suffisant pour analyser leurs caractéristiques, il a été calculé, à partir des données de l’étude EMIR, qu’il fallait inclure 5 556 patients provenant de 140 services. 

Chaque CRPV désignait un médecin rompu à la pharmacovigilance qui, à chaque EIM signalé par le service tiré au sort, faisait l’analyse de l’EIM et établissait le niveau d’imputabilité des médicaments associés à cet EIM. Un médecin du service tenait le registre des entrées et décidait avec le « pharmacovigilant » s’il s’agissait d’un cas ou non d’EIM. Tous les cas ont ensuite été réévalués avec un recul suffisant (un mois de suivi) par un binôme de pharmacovigilants désigné par un comité d’évaluation des effets indésirables, qui veillait à ce que les praticiens responsables de la pharmacovigilance n'aient pas été en charge des cas de leur propre centre.

Une fois le diagnostic d’EIM établi définitivement, était appréciée la conformité par rapport au RCP :

  • une non-conformité absolue correspondait à la prescription du médicament malgré une contre-indication, une mise en garde, une posologie ou une indication en dehors de celles de l’autorisation de mise sur le marché (AMM) ;
  • une non-conformité relative correspondait à la prescription du médicament malgré une précaution d’emploi non respectée, une erreur médicamenteuse, une automédication ou un mésusage.

En cas de non-conformité, il était recherché si celle-ci était ou non à l’origine de l’EIM, autrement dit si cet EIM aurait pu être évité par le respect du RCP.

Les données obtenues sur l’échantillon de malades analysé (population source) ont ensuite été extrapolées à l’ensemble des patients ayant séjourné en 2018 dans un service de spécialité médicale de court séjour d’un hôpital public en France métropolitaine (population cible).

8,5 % d’admissions pour un effet indésirable médicamenteux

L’étude a inclus 69 établissements, soit 6 % des 1 140 hôpitaux publics de court séjour français et 141 services (53 % en CHU). Pour exemple, il s’agissait de services de gériatrie (10,6 %), d’hépato-gastro-entérologie (8,5 %), de pédiatrie (8,5 %), d’oncologie (2,1 %), etc.

Parmi les 3 648 patients hospitalisés, 351 l’ont été pour un EIM qui a finalement été retenu comme tel par le comité d’évaluation pour 309 d'entre eux (8,5 %). Quatre d’entre eux sont décédés (mortalité de 1,3 %) :

  • deux patients d’une infection à Clostridium (Clostridioides) difficile induite par une antibiothérapie ;
  • un patient d’insuffisance rénale, consécutive à la prescription d’un anti-inflammatoire non stéroïdien (AINS), compliquée d’une acidose lactique à la metformine ;
  • un malade d’une hémorragie cérébrale sous antivitamine K (AVK) prescrit pour une valve cardiaque mécanique.

Par rapport aux sujets hospitalisés pour une autre raison, ces 309 patients étaient plus souvent des femmes (62 % versus 50 %) et étaient plus âgés (69 ans versus 59 ans).

Les EIM les plus fréquents étaient digestifs (17 %), hématologiques (12%) et rénaux (11%). Les hémorragies toutes localisations confondues étaient les plus représentées (8,8%), suivies des anémies/pancytopénies (6,5%), des insuffisances rénales aiguës (6,3%), des dyskaliémies/dysnatrémies (6 %) et des chutes (5,2 %).

Sur les 1 598 médicaments associés à l’EIM, après analyse de leur imputabilité par le comité d’évaluation, 610 étaient réellement impliqués, soit environ deux médicaments potentiellement en cause par EIM.

Parmi ces 610 médicaments, 21 % concernaient le système cardiovasculaire, 20,7 % le système nerveux (20,7%), 20,2 % étaient des antinéoplasiques/immunomodulateurs  et 11,8 % concernaient le sang ou les organes hématopoïétiques.

Plus précisément, parmi eux il y avait : des antinéoplasiques (15 % dont 22,8 % de thérapies ciblées, 16 fois un anticorps monoclonal et 5 fois un anti-tyrosine kinase) ; des antithrombotiques (11,6 % dont 30 % d’AVK et 22 % d’anticoagulants oraux directs [AOD]) ; des psychotropes (8,9 % dont 48 % d’anxiolytiques) ; des diurétiques (6,7 %) ; des médicaments ciblant le système rénine-angiotensine (6,7 %) ; des antidiabétiques (5 % dont 30 % d’insulines et 23 % de metformine) ; des analgésiques (4,9 % dont 77 % d’opioïdes). Les AINS représentaient 2,5 % des 610 médicaments en cause.

Des prescriptions conformes et non conformes

L’analyse de conformité de la prescription des médicaments en cause a porté sur 248 patients (sur les 309 hospitalisés pour un EIM) et les 512 médicaments les concernant.

Dans 182 cas, l’utilisation de leurs 392 médicaments était conforme au RCP.  Parmi les 66 autres cas, 23 % des prescriptions étaient néanmoins conformes aux recommandations de sociétés savantes.

Concernant les 43 cas dont les prescriptions n’étaient conformes ni au RCP ni aux recommandations de sociétés savantes, le comité d’évaluation a considéré que cette non-conformité n’était pas un facteur de risque dans trois cas.

Les principales situations de non-conformité étaient le non-respect de la dose ou de la durée d’utilisation (27,9 %), d’une mise en garde (23,2 %), ou d’une précaution d’emploi (18,6 %) du médicament.

Aucune transgression d’une contre-indication n’a été constatée.

En additionnant les EIM avec prescription conforme au RCP (n=182), ou à défaut aux recommandations de sociétés savantes (n=23), et les trois cas où la non-conformité n’était pas un facteur de risque de cet EIM, il a pu être constaté que 208 EIM (84 %) étaient inévitables et constituait un aléa thérapeutique, mais que 16 % auraient pu être évités.

En extrapolant les résultats recueillis au sein de la population source (8,5 % d’hospitalisations pour un EIM avec une mortalité de 1,3 %) à la population cible (2,5 millions de patients hospitalisés), il a été estimé que 212 500 [IC95% : 190 000 - 235 000] patients par an ont été hospitalisés pour un EIM et que 2 762 [IC95% : 850 - 6 587] en sont morts.

Les conséquences des effets indésirables médicamenteux

Augmentation des hospitalisations

La proportion d’hospitalisations pour EIM (8,5 %) est plus élevée que celles estimées dans d’autres études (3,5 % [3], 6,3 % [4] et 7 % [5]) y compris celle d'EMIR [1] (3,6 %), de méthodologie proche, et alors même que la consommation de médicaments a plutôt diminué (moins 4 % entre EMIR 2007 et IATROSTAT 2018).

Comme attendu, la iatrogénie médicamenteuse était plus marquée chez les personnes âgées que chez les enfants, mais force est de constater qu’elle a augmenté dans cette population avec une proportion d’hospitalisations liées à un EIM de 10,6 % dans IATROSTAT versus 4,91 % dans EMIR, et également chez les enfants (3,3 % versus 1,35 %) [2].

Mortalité

La mortalité de 1,3 % chez les patients hospitalisés pour EIM est proche de celle de l‘étude EMIR (1,03 %), mais difficile à comparer à d’autres études de méthodologies différentes, en particulier celles incluant les admissions aux urgences, qui étaient exclues de ce travail. Cependant, toutes les études s’accordent sur le fait que les hémorragies cérébrales et digestives sont les situations les plus souvent en cause dans les décès (50 % des décès).

Sans surprise, le profil des EIM est proche de celui d’autres travaux avec, en premier lieu les hémorragies principalement digestives suivies de près par les atteintes hématologiques, l’insuffisance rénale aiguë, les troubles hydroélectrolytiques et les chutes.

Le type de médicaments en cause

Le type de médicaments en cause dans la survenue d’EIM était intéressant à comparer à ceux de l’étude EMIR en raison de la mise sur le marché de nouvelles classes de médicaments depuis 2007.

Les antinéoplasiques

Les antinéoplasiques restent en tête des médicaments impliqués dans un EIM (15 %) en augmentation par rapport à EMIR (12,6 %), mais incluent fréquemment les thérapies ciblées (anticorps monoclonaux et anti-tyrosine kinase) non représentés dans EMIR, car mis sur le marché en 2007).

Les antithrombotiques

Les antithrombotiques passent au second plan (11,6 % des EIM) et leur répartition a changé parallèlement aux modifications de prescription entre 2007 et 2018. Ainsi, les AOD commercialisés depuis 2009, n’étaient de fait jamais en cause dans EMIR, alors qu’ils se partagent désormais avec les AVK (29,6 %) les EIM associés aux antithrombotiques (22,5 %). Les antiagrégants plaquettaires restent les plus impliqués dans la survenue des hémorragies associées aux antithrombotiques (43,6 %).

Les incrétinomimétiques

Parmi les autres classes de médicaments arrivés sur le marché depuis une dizaine d’années, les incrétinomimétiques sont en cause dans 20 % des EIM impliquant un antidiabétique, derrière l’insuline (30 %) et la metformine (23 %).

Les opioïdes

Comme dans l’étude EMIR, parmi les antalgiques, les opioïdes ont un rôle prédominant (76 %) dans les hospitalisations pour EIM en 2018. Cette part des opioïdes a été bien établie par l’état des lieux effectué par l’ANSM en 2019 [6]. Il montrait une augmentation franche (+167 %) entre 2000 et 2017 des hospitalisations liées à la consommation d’antalgiques opioïdes obtenus sur prescription (cette dernière passant de 15 à 40 par millions d’habitants) et des décès (+146 %), soit 4 décès par semaine.

La part d'évitabilité

L’analyse du caractère évitable des EIM est le point fort de ce travail, car il permet d’envisager des stratégies de prévention que l’aléa thérapeutique (EIM évitables) n’autorise pas. Le caractère évitable des EIM, mesurée dans cette étude (16 %) est proche de celui de deux autres études, l’une française (17 %) en 2009 [7] et l’autre suédoise (14 %) en 2012 [8] où l’ « évitabilité » correspondait aux prescriptions non-conformes aux RCP ou aux recommandations de sociétés savantes, cette non-conformité étant un facteur de risque de l’EIM.

La part d’évitabilité est cependant sous-estimée dans l’étude IATROSTAT puisque la méthodologie de l’analyse des cas ne prenait pas en compte la pertinence des prescriptions « conformes ». En effet, une prescription peut par exemple être parfaitement conforme au plan réglementaire, mais n’avoir aucune pertinence clinique, car non nécessaire, ou ne pas être le meilleur choix pour un patient donné.

Tous ces éléments doivent conduire à engager des actions de prévention ciblées sur les classes médicamenteuses les plus à risque et une promotion du bon usage des médicaments qui passe certes par le respect des RCP, mais surtout sur l’accessibilité de stratégies thérapeutiques actualisées en permanence orientant vers le meilleur choix parmi les médicaments disponibles.  
 

Sources

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