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Thromboprophylaxie après fracture : aspirine à faible dose contre héparine de bas poids moléculaire

Selon une étude américaine, l’aspirine à visée antiplaquettaire aurait un effet équivalent à celui d’une HBPM pour prévenir les événements thrombo-emboliques veineux après fracture de membre opérée ou du bassin. Des résultats à interpréter à l'aune des pratiques françaises.

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De nouvelles données américaines. 

De nouvelles données américaines. 

Résumé

Une étude menée en Amérique du Nord sur plusieurs milliers de patients a comparé l’aspirine à faible dose (à visée antiplaquettaire) à une héparine de bas poids moléculaire (HBPM) en prévention des événements thromboemboliques veineux après fracture de membre opérée ou bien pelvienne ou acétabulaire.

En termes de mortalité, elle a montré que l’aspirine n’était pas inférieure à l’HBPM, mais avec un taux un peu plus élevé de complications thromboemboliques.

Comment peut-on interpréter ces résultats ? Éclairage du Pr Marc Samama, directeur du DMU d’anesthésie-réanimation - médecine périopératoire du GHU APHP. Centre - Université Paris Cité - hôpital Cochin à Paris et rédacteur en chef de l’European Journal of Anaesthesiology

En chirurgie orthopédique, la prévention du risque thromboembolique veineux (TEV) fait largement appel aux héparines de bas poids moléculaire (HBPM). Tout du moins en Europe car, comme le rappelle le Pr Marc Samama, « il y a longtemps qu’outre-Atlantique, les chirurgiens orthopédistes ont parfois recours à l’aspirine. Initialement, l’American College of Chest Physicians (ACCP) n’y était cependant pas favorable avant d’emboîter le pas de l’American Academy of Orthopedic Surgeons en 2012 et d’émettre des recommandations de grade 1B situant l’aspirine au même rang que l’héparine et les anticoagulants oraux directs (AOD) en thromboprophylaxie après pose de prothèse totale de hanche ou de genou ou de fracture du fémur. »

En 2018, les recommandations européennes sur la prophylaxie thromboembolique veineuse en périopératoire ont également laissé une place à l’aspirine dans les mêmes indications. « Un pas ayant pu être franchi grâce à l’essor de la chirurgie ambulatoire et de la récupération rapide après chirurgie (RRAC ou fast-track surgery) qui, en raccourcissant la période de récupération, abaisse fortement le risque d’accident TEV. »

Une étude sur 12 000 patients

C’est dans ce contexte que s’inscrit une étude menée par le Major Extremity Trauma Research Consortium (METRC) récemment parue dans le New England Journal of Medicine.

Dans cet essai en ouvert, de non-infériorité, dénommé PREVENT CLOT, l’aspirine a été comparée à une HBPM en thrombophylaxie chez 12 211 patients hospitalisés pour une fracture de membre (extrémité supérieure ou inférieure), opérée, ou bien pour une fracture pelvienne ou acétabulaire (6 101 dans le bras aspirine et 6 110 dans le bras HBPM).

Les doses d’énoxaparine et d’aspirine administrées étant, respectivement, de 30 mg deux fois par jour et de 81 mg deux fois par jour. Après la sortie de l’hôpital, les patients ont continué à recevoir un traitement prophylactique, selon un protocole qui variait selon les centres, la médiane étant de 21 jours. 

Le critère principal était le décès de toutes causes à 90 jours. Les critères secondaires étaient les embolies pulmonaires non fatales, les thromboses veineuses profondes et les complications hémorragiques.

La mortalité du groupe aspirine est apparue équivalente à celle des patients ayant reçu une HBPM (0,78 % versus 0,73 % ; différence : 0,05 points de pourcentage, IC95% : -0,27-0,38, p<0,001 pour une marge de non-infériorité de 0,75).

Une thrombose veineuse profonde est survenue plus souvent sous aspirine : 2,51 % des cas contre 1,71 % dans le groupe HBPM. L’incidence de l’embolie pulmonaire a été la même dans chaque groupe (1,49 %), de même que celles des complications hémorragiques.

Pour le Pr Samama, « cette étude est la bienvenue. Il s’agit d’un essai très vaste incluant, entre autres, des patients à très haut risque thromboembolique, de bonne qualité méthodologique et avec un premier critère de jugement sans ambiguïté, à savoir la mortalité. Jusqu’à ce jour peu de travaux de bonne facture portant sur l’aspirine avaient été rapportés. Pour exemple, plusieurs critiques ont été faites à l’encontre de l’étude CRISTAL, publiée l’année dernière dans le Journal of the American Medical Association, qui avait également comparé l’aspirine à une HBPM (avec des résultats en défaveur de l’aspirine) : les patients étaient obèses, la randomisation a été faite par hôpital et non par patient, il n’y a pas eu de RRAC, etc. »

Mortalité du même ordre et un peu plus d’événements thromboemboliques veineux

Pour revenir aux résultats de l’essai PREVENT CLOT, s’ils mettent ex-aequo l’HBPM et l’aspirine en termes de mortalité, il y a cependant eu un peu plus d’événements thromboemboliques sous aspirine, « ce qui n’est pas étonnant étant donné que l’on sait bien que l’aspirine est moins puissante que les HBPM et les anticoagulants oraux directs », précise le Pr Marc Samama.

Dans un éditorial commentant l’étude, Mattew Costa, de l’université d’Oxford, signale à cet égard que « même si une thrombose veineuse profonde n’est évidemment pas aussi grave qu’un décès par embolie pulmonaire, ce n’est pas un événement sans conséquence car elle peut conduire à un syndrome post-thrombotique. »

Enfin, il ne faut pas oublier qu’une troisième classe de médicaments est également en lice, celles des anticoagulants oraux directs (AOD). Dans une étude de non-infériorité (PRONOMOS) publiée en 2020 dans le New England Journal of Medicine par CM Samama et al. ayant comparé un AOD à une HBPM, le premier s’est révélé plus efficace en termes de prévention d’événements thromboemboliques veineux après chirurgie orthopédique non majeure (c’est-à-dire excluant la pose de prothèse de hanche ou du genou ou les interventions pour fracture de hanche). De fait, pour le Pr Samama, « les AOD devraient être préférés à l’aspirine pour ce type de patients. »

Quoi qu’il en soit, les recommandations suivies en France en 2023 sont celles émises en 2011 par la Société française de réanimation (SFAR) dans lesquelles les options sont les HBPM ou les anticoagulants oraux directs, ces derniers étant en pratique de plus en plus prescrits.

Mais selon le Pr Samama, « les guidelines européennes sont en cours de révision et devraient être finalisées en 2023 et publiées dans l’European Journal of Anesthesiology. La SFAR pourrait alors être amenée à actualiser les siennes. »

 

D’après un entretien avec le Pr Marc Samama, directeur du DMU d’anesthésie-réanimation - médecine périopératoire du GHU APHP. Centre - Université Paris Cité - hôpital Cochin à Paris et rédacteur en chef de l’European Journal of Anaesthesiology.

 

Sources

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