Pr Harry Sokol.
- VIDÉO -
La transplantation de microbiote fécal est aujourd’hui réalisée dans plusieurs centres français.
Il s’agit d’introduire dans l’intestin d’un patient une flore bactérienne saine apportée par les selles d’un donneur.
À ce jour, cette intervention n’est effectuée que dans une seule indication : l’infection multirécidivante à Clostridium difficile avec une efficacité de plus de 90 %.
Si la transplantation fécale n’est pas un geste compliqué, la stricte sélection des donneurs, la logistique requise sont en revanche très complexes.
Le Pr Harry Sokol, gastro-entérologue à l'hôpital Saint-Antoine à Paris et coordinateur du centre de transplantation fécale de l’AP-HP, nous dresse un portrait de ce traitement très particulier.
TRANSCRIPTION
« Alors en pratique la transplantation fécale, en soi, n'est pas un geste compliqué. Ce qui est vraiment très complexe, c'est d'identifier des donneurs et tout le processus pour obtenir des selles qui sont avec un niveau de sécurité suffisant pour faire une transplantation fécale », explique le Pr Harry Sokol, gastro-entérologue à l'hôpital Saint-Antoine à Paris et coordinateur du centre de transplantation fécale de l'AP-HP.
Transplantation fécale, un traitement qui profite du microbiote
La transplantation de microbiote fécal consiste à introduire dans l'intestin d'un patient une flore bactérienne saine apportée par les selles d'un donneur sain.
Aujourd'hui, la transplantation fécale n'est proposée que dans une seule indication : l'infection multirécidivante à Clostridium difficile avec une efficacité de plus de 90 %.
Le Pr Harry Sokol, gastro-entérologue à l'hôpital Saint-Antoine à Paris et coordinateur du centre de transplantation fécale de l'AP-HP, nous explique en quoi consiste ce traitement très particulier.
VIDAL. Depuis quand la transplantation fécale est-elle utilisée ?
Pr Harry Sokol. Alors d'abord la transplantation de microbiote fécal n'est pas du tout un nouveau traitement. C'est utilisé depuis extrêmement longtemps. On retrouve des traces de cette utilisation même dans la médecine chinoise du IVe siècle pour traiter des infections intestinales. Un petit peu plus récemment, on s'est intéressé à la transplantation fécale pour traiter l'infection à Clostridium difficile, puisqu'on sait que cette infection est en grande partie liée à des perturbations du microbiote, le plus souvent après une prise d'antibiotiques. Donc, assez logiquement, c'est cette indication qui est la première à avoir émergé.
Comment réalise-t-on une transplantation fécale ?
En pratique, la transplantation fécale, en soi, n'est pas un geste compliqué. Ce qui est vraiment très complexe, c'est d'identifier des donneurs et tout le processus pour obtenir des selles qui sont avec un niveau de sécurité suffisant pour faire une transplantation fécale. Donc d'abord, on a besoin d'identifier des donneurs qui ne sont évidemment pas malades, qui n'ont pas eu de perturbations de leur microbiote récente avec des antibiotiques, pas de voyage dans des zones exotiques, ce genre de choses.
Ensuite, on va leur faire un examen clinique, évidemment, un bilan biologique extrêmement large qui est bien plus large que ce qu'on fait avant un don du sang, par exemple, parce qu'on va chercher non seulement des pathogènes dans le sang avec des sérologies et autres, mais aussi des pathogènes dans les selles, des bactéries multirésistantes, des parasites. Donc ça fait un bilan vraiment très large. On a un taux de succès qui est extrêmement faible. Pour 100 personnes qui sont candidates à la transplantation fécale, il y en a moins de trois qui, au final, peuvent effectivement donner leurs selles.
Ensuite, une fois qu'on a identifié un donneur, il va donner ses selles. Ces selles vont être préparées suivant le mode d'administration que l'on envisage et elles vont être stockées à moins 80 degrés avec un cryoprotectant pour garder les bactéries vivantes en attendant d'avoir un bilan complet qui permette de valider l'utilisation de ce don.
Ensuite, si on a un patient qui a besoin de faire une transplantation fécale, on va lui administrer la transplantation fécale suivant un protocole assez assez strict. Dans l'infection à Clostridium difficile, on commence toujours par un traitement antibiotique, par de la vancomycine ou de la fidaxomicine pendant quelques jours, au minimum quatre ou cinq jours. Ensuite, on va préconiser une préparation colique de type coloscopie avec du polyéthylène glycol. Et puis enfin, on va administrer la transplantation fécale :
- soit par le haut, cela peut être via une sonde naso-gastrique ou naso-duodénale ou alors avec des gélules ;
- soit par le bas, avec lavement ou au cours d'une coloscopie.
Une hospitalisation est-elle nécessaire ?
Le plus souvent, on n'a pas besoin d'une hospitalisation. On peut faire la transplantation en ambulatoire puisqu'encore une fois, ça n'a de transplantation que le terme. On fait néanmoins encore des transplantations fécales en hospitalisation chez des gens qui sont particulièrement fragiles et qu'on a besoin de surveiller de près.
Quelles sont les indications de la transplantation fécale ?
Aujourd'hui, la seule indication de la transplantation fécale dans la pratique clinique courante, ce sont les infections multirécidivantes à Clostridium difficile. Donc, qu'est-ce que c'est qu'une infection multirécidivante ? C'est un patient qui va faire d'abord un premier épisode d'infection par Clostridium difficile, qui va être traité efficacement par un antibiotique. Les symptômes vont disparaître, et dans les huit semaines suivant la fin du traitement, les symptômes vont réapparaître avec à nouveau de la diarrhée et on va trouver à nouveau du Clostridium difficile et des toxines dans les selles. Donc ça c'est une première récidive.
S'il y a une deuxième récidive exactement suivant les mêmes critères dans les suites de cette première récidive, à ce moment-là, on est devant une forme multirécidivante et c'est l'indication de réaliser une transplantation de microbiote fécal. Donc l'infection à Clostridium difficile, c'est une infection qui est fréquente. C'est la première cause de diarrhée nosocomiale en France, donc ça touche plusieurs dizaines de milliers de patients en France tous les ans. C'est un vrai problème de santé publique.
Et le problème, un des problèmes principaux, c'est qu'une fois qu'on a fait une infection par Clostridium difficile, le risque de récidive est de l'ordre de 15 à 20 %. Si on a une première récidive de l'infection, le risque de faire une deuxième récidive est de l'ordre de 40-45 %. Et donc, c'est pour ça qu'à partir de la deuxième récidive, on sait que le risque va encore augmenter, il va être de l'ordre de 60-65 %. Et donc, c'est là que vraiment, il y a l'indication de réaliser la transplantation fécale.
Quelle est son efficacité ?
Dans la pratique clinique, l'efficacité de la transplantation fécale dans les formes multirécidivantes d'infections à Clostridium difficile est extrêmement élevée. On est au-delà de 90 %. En tout cas, c'est l'expérience du groupe français de transplantation fécale. On n'a pas de chiffres extrêmement précis sur le nombre de transplantations fécales faites en France, mais on peut estimer qu'il y en a plusieurs centaines par an, probablement aux alentours d'un millier, qui sont réalisées tous les ans. On devrait d'ailleurs très probablement en réaliser au moins dix fois plus, étant donné l'épidémiologie des infections à Clostridium difficile. Donc, il y a vraiment un besoin d'informer les médecins pour qu'ils soient au courant que cette technique existe et adresser les patients qui en ont besoin, le plus tôt possible, c'est-à-dire dès la deuxième récidive, dans un centre qui réalise ces transplantations fécales.
Sur le site du Groupe français de transplantation fécale, il y a des centres qui réalisent ces transplantations. On va dire que les équipes les plus importantes sont à Paris dans notre centre, à l'AP-HP, à l'hôpital Saint-Antoine, également à Toulouse, au CHU de Toulouse, au CHU de Clermont-Ferrand et également à Lyon.
Est-ce une intervention sûre ?
La transplantation fécale, ce n'est pas du tout anodin. C'est vrai que les patients ont parfois une perception de naturalité d'un traitement bio, mais c'est vraiment pas ça. On parle de micro-organismes que l'on ne connaît pas pour la majorité d'entre eux. Donc on peut tout à fait transférer un agent pathogène sans le savoir, surtout si le bilan n'est pas bien fait. On peut transférer des bactéries multirésistantes et donc si on est sur un receveur qui a un terrain particulier, ça peut être particulièrement grave. Il y a eu aux États-Unis plusieurs décès suite à des transferts de bactéries multirésistantes, avec des bilans qui avaient été mal faits chez les donneurs. Donc voilà, déjà ça en soi, ce n'est pas anodin. Ensuite, comme ça va avoir quand même un effet assez important sur ce qui se passe dans notre intestin, ça peut améliorer certaines choses, mais ça peut aussi dégrader certaines autres. Par exemple, dans le syndrome de l'intestin irritable, il y a beaucoup de recherches sur la transplantation fécale, il y a des gens qui sont très motivés pour faire ce type de traitement. Il y a d'ailleurs certaines études qui rapportent une certaine amélioration, bien que ce ne soit clairement pas magique et clairement pas chez tous les patients.
Mais il y a d'autres études qui rapportent au contraire une dégradation après transplantation fécale. Pour le traitement d'infection à Clostridium difficile, si le bilan des donneurs est bien fait, comme on le fait en France, on n'a absolument aucun problème de sécurité. On a à déplorer aucun accident dans notre expérience. Mais, en revanche, ce n'est pas anodin et donc ce n'est pas un traitement qu'on peut essayer un peu n'importe comment. Parce que si ça peut avoir des effets positifs et, notamment dans le Clostridium difficile, ça a clairement des effets positifs. Et surtout, les traitements qui sont en face marchent très très mal dans les formes multirécidivantes. Mais dans d'autres situations, ça peut être potentiellement dangereux, voire même dégrader la situation.
Des évolutions techniques sont-elles attendues ?
Aujourd'hui, la transplantation fécale, elle se base sur des préparations fécales qui sont congelées à moins 80 degrés. Dans les centres de transplantation fécale, on réalise différents types de mode d'administration : des lavements, des administrations par sonde naso-duodénale, mais aussi des gélules. Et donc, ce qui va évoluer, c'est les méthodes de conservation. Donc on espère aller vers des systèmes de lyophilisation peut-être, ou d'autres systèmes de conservation qui évitent une conservation à moins 80 degrés. Donc ça, c'est une première évolution.
Ensuite, une deuxième évolution, c'est peut-être finalement de se passer de la transplantation fécale et d'aller sur des préparations de micro-organismes plus contrôlés dont on sait précisément ce qu'ils contiennent. Pour peut-être à terme, remplacer la transplantation fécale. Mais ça, c'est encore de la recherche.
D'autres maladies pourraient-elles bénéficier de la transplantation fécale ?
Effectivement, aujourd'hui, la seule et unique indication dans le cadre du soin courant, c'est bien ces infections multirécidivantes à Clostridium difficile. Il y a beaucoup de recherches sur d'autres pathologies pour lesquelles on pense que le microbiote est impliqué. Les maladies inflammatoires chroniques de l'intestin, comme la maladie de Crohn ou la rectocolite hémorragique, des maladies métaboliques, également pour aider certains traitements comme le traitement du cancer. Voilà beaucoup de pathologies différentes.
Après, il faut aussi avoir en tête que la transplantation fécale, ça a des limites. C'est extrêmement complexe à organiser en termes de logistique. Ce n'est pas du tout dénué de risques et donc autant pour traiter des pathologies relativement aiguës avec une, deux, voire trois transplantations fécales, c'est tout à fait envisageable, surtout si ce sont des pathologies qui ne sont pas trop fréquentes. Mais traiter des pathologies fréquentes et chroniques comme le diabète, les maladies inflammatoires de l'intestin ou d'autres maladies de ce type avec la transplantation fécale, ça paraît quand même assez illusoire parce que ça demanderait vraiment une logistique absolument considérable. Et c'est pour ça que la recherche sur le microbiote s'oriente vers des traitements plus contrôlés et que l'on peut produire à grande échelle comme des probiotiques de nouvelle génération ou des associations de probiotiques de nouvelle génération.
Interview : Dr Patricia Thelliez
Caméra/montage : Robin Benatti
Remerciements : Pr Harry Sokol
Petite erreur : transplantation "fiscale" en conclusion, l'auteur devait être préoccupé
;-) nous allons corriger...