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Épilepsies sévères : les points de vigilance lors du suivi en ville

L’hétérogénéité des manifestations de l’épilepsie sévère fait d’elle une pathologie qui requiert une attention particulière. Quelques points de vigilance ont été identifiés pour assurer un suivi optimal en médecine de ville.

Marion Berthon 26 octobre 2023 Image d'une montre11 minutes icon Ajouter un commentaire
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Médecins généralistes et pédiatres indispensables pour le suivi de proximité.

Médecins généralistes et pédiatres indispensables pour le suivi de proximité.

Résumé

Si le traitement et le suivi des épilepsies sévères sont conduits en établissements de santé, c’est en ville que se jouent le suivi de l’observance, l’éducation thérapeutique, la reconnaissance de handicap et la détection des troubles associés, des effets secondaires et des interactions médicamenteuses.

Médecins généralistes et pédiatres peuvent s’appuyer sur les centres de référence et de compétence des épilepsies rares, sur des dispositifs d’accompagnement ainsi que sur des outils spécialisés.

Maladies neurologiques chroniques très hétérogènes, les épilepsies sont dites sévères lorsqu’elles résistent aux traitements, ce qui concerne un tiers des patients, et entraînent un handicap qui peut être lié à la fréquence, au type ou à l’intensité des crises ou à leurs manifestations brutales (chutes) [1]. Plusieurs déficiences graves d’origine cognitive, sensorielle ou motrice peuvent être associées à l’épilepsie sévère, constituant ainsi un handicap rare [2]. C’est sur ces particularités que doit se concentrer la vigilance des professionnels de santé en ville et en établissement de santé.

Les enjeux de la prise en charge en dehors des structures spécialisées

Pour le traitement et le suivi de leur pathologie, les personnes souffrant d'une épilepsie sévère sont prises en charge par des services spécialisés, en neurologie pour les adultes ou en neuropédiatrie pour les enfants [3].

Des centres de référence et de compétence des épilepsies rares labellisés sont disponibles sur tout le territoire, mais les délais de prise de rendez-vous sont longs et les centres parfois éloignés du domicile des patients.

Hors consultations hospitalières, il existe de réelles difficultés d’accès aux soins selon les départements, avec trop peu de neurologues et presque pas de neuropédiatres en ville. « Nous sommes face à une antinomie : nous demandons une prise en charge précoce des patients avec épilepsie sévère, mais nous sommes dans un système économique de délais longs, déplore le Dr Catherine Allaire, neurologue au foyer d’accueil médicalisé (FAM) pour adultes épileptiques de Broons [4]. Un patient épileptique, et d’autant plus atteint d’une forme sévère, doit être suivi par un neurologue ou un neuropédiatre, même de façon espacée. C’est indispensable. Entre les consultations, il sera suivi par un médecin généraliste ou un pédiatre. »

C’est donc en ville qu’a lieu le suivi intermédiaire des personnes épileptiques. Outre le traitement des comorbidités, des blessures, des maladies saisonnières et les renouvellements d’ordonnance, les médecins généralistes et les pédiatres sont les mieux placés pour détecter les signaux d’alerte d’éventuels troubles associés, d’effets secondaires des traitements et d’un déséquilibre de la maladie.

Les éléments clés pour une prise en charge optimale

Comprendre l’épilepsie de chaque patient

« “Racontez-moi votre épilepsie, expliquez-moi ce que vous vivez”. C’est par cette phrase d’apparence anodine que pourrait commencer toute consultation de médecine générale ou de pédiatrie », estime Françoise Thomas-Vialettes, experte de la Fédération des associations de personnes handicapées par des épilepsies sévères (EFAPPE), mais également mère d’une fille atteinte d’une maladie rare avec épilepsie sévère [5].

Les épilepsies sévères sont extrêmement variées, hétérogènes et multiformes. Entre une personne qui travaille et une autre ayant des troubles associés et des crises quotidiennes avec blessures [6], quoi de commun en effet ? Apprendre à connaître le patient, son épilepsie et ses proches aidants permet de construire une communication de confiance propice à une alliance thérapeutique et à l’adhésion du patient au traitement.

Connaître et faire connaître les facteurs favorisant les crises

Si les traitements ne parviennent pas à stopper les crises, la prévention est assurément un facteur déterminant pour en éviter un certain nombre. Pour cela, les patients doivent connaître les facteurs favorisant leur survenue. Sensations fortes, stress, dépression, addictions, douleur, troubles du sommeil, hormones, état fébrile, état nutritionnel, stimuli, altitude, chaleur, diffusion d’huiles essentielles, changement d’environnement et de repère sont autant de facteurs émotionnels, environnementaux et médicaux à prendre en considération.

« Les médecins généralistes, qui suivent le patient de façon globale et régulière, sont très bien placés pour détecter une addiction à l’alcool ou aux substances psychoactives, soutient le Dr Allaire. Ils ont tout intérêt à mettre en place une éducation thérapeutique pour influer sur l’hygiène de vie. » Des conseils préventifs qui doivent être individualisés, car certaines personnes sont plus sensibles que d’autres au manque de sommeil, à l’alcool ou à la prise d’antidépresseurs, par exemple.

Savoir détecter les troubles associés

L’un des rôles primordiaux du médecin généraliste et du pédiatre est de parvenir à distinguer si le patient va mieux ou moins bien sur le plan psychologique et cognitif [7]. « Il y a le trouble cognitif fixé, qui remonte à l’enfance, pendant laquelle l’épilepsie a empêché la construction des réseaux cognitifs spécialisés, explique la neurologue. Ces troubles séquellaires doivent être distingués des effets cognitifs récents liés à des crises régulières, comme les troubles attentionnels, exécutifs, de l’humeur, de la mémoire immédiate, du langage ainsi que les brouillards cognitifs. »

Les altérations thymiques sont particulièrement importantes à repérer. Les personnes souffrant d'épilepsie sévère présentent un risque élevé de manifestations anxieuses et dépressives et de désorganisation du cycle veille-sommeil. Une fois détectées, le médecin de ville peut proposer une prise en charge spécifique.

Vérifier et soutenir l’observance médicamenteuse

Les épileptiques n’ont pas le droit à l’oubli de leurs prises médicamenteuses et doivent respecter une observance stricte. Mais il n’est pas si facile d’accepter une médication quotidienne, notamment à certains âges clés, comme pendant la petite enfance où la prise d’un traitement peut rapidement tourner à la lutte ou à l’adolescence avec un besoin de se libérer du carcan des prescriptions.

« Les médicaments sont mauvais et extrêmement amers. Un médecin m’a un jour expliqué que les papilles gustatives qui sentent l’amer se situent sur le bout de la langue et m’a conseillé d’enrober le produit dans du miel », raconte Françoise Thomas-Vialettes. De simples astuces peuvent améliorer l’observance des enfants et éviter que certaines épilepsies ne soient considérées à tort comme pharmacorésistantes, alors qu’il s’agissait en fait d’oublis ou de refus de traitement.

Savoir détecter les effets secondaires du traitement

Parce qu’ils voient leurs patients régulièrement, les médecins de proximité sont en première ligne pour détecter les effets secondaires d’un traitement antiépileptique. « Si un patient a pris beaucoup de poids depuis la dernière consultation, s’il se plaint de problèmes dermatologiques ou si un parent parle du caractère ingérable de son enfant… Tous ces signaux peuvent alerter sur de possibles effets secondaires », avertit Françoise Thomas-Vialettes. Une baisse de la vigilance, une altération des capacités cognitives, des céphalées et une dépression peuvent également être le signe d’une iatrogénie médicamenteuse.

Faire attention aux possibles interactions médicamenteuses

« Il est arrivé à un médecin de garde de prescrire à ma fille un traitement pour une otite qui était incompatible. Cette erreur s'est produite malgré les deux niveaux de contrôle qui auraient dû jouer (le médecin puis le pharmacien) », confie cette mère dont la fille est sujette à des crises occasionnant régulièrement des chutes violentes.

Le médecin prescripteur doit en effet toujours veiller aux associations médicamenteuses en ayant à l’esprit que certains agents peuvent se révéler pro-épileptiques. Il est également important de vérifier en consultation si le patient a fait usage de certains produits délivrés sans ordonnance qui pourraient avoir abaissé le seuil épileptogène (comme certains antihistaminiques par exemple) ou avoir modifié l’efficacité des antiépileptiques (comme certains contraceptifs).

Comment épauler les patients dans leur vie quotidienne ?

Faciliter la reconnaissance du handicap

Quand le traitement n’est pas stabilisé, l’épilepsie sévère a de sérieux retentissement sur la vie quotidienne : surveillance constante, impact sur le lien social, nécessité d’une aide humaine. Ces besoins de compensation et d’adaptation peuvent être évalués pendant la consultation de médecine générale ou de pédiatrie. « Si les médecins de proximité se rendent compte que cela devient difficile pour les parents, qu’il y a des déficiences associées ou un décalage par rapport aux autres enfants, le simple fait de prononcer le mot “handicap” peut aider », conseille Françoise Thomas-Vialettes. Le praticien pourra alors aider à renseigner les dossiers pour la Maison départementale des personnes handicapées (MDPH), la Caisse d’allocations familiales (CAF), la médecine du travail, faire une demande d’affection de longue durée (ALD) ou tout simplement obtenir un bon de transport [8].

Faciliter la réussite scolaire et l’insertion professionnelle

Les exemples de refus d’enfant épileptique dans certains établissements scolaires, centres de loisirs ou de vacances, de refus de stage ou d’emploi ne sont malheureusement pas des exceptions. Pourtant, seuls de rares métiers sont interdits. Pour faciliter la réussite scolaire et l’insertion professionnelle, le médecin de ville peut contacter les établissements ou la médecine du travail pour les rassurer ou pour aménager un poste si cela se révèle nécessaire.

Aider les proches aidants

La présence de proches aidants (cf. notre article du 6 avril 2023) est indispensable à la plupart des personnes atteintes d’une épilepsie sévère : tant pour aider aux gestes du quotidien en cas de handicap, que pour assurer la sécurité de la personne malade et faciliter son suivi médical. « L’accompagnant connaît les crises et sait les voir venir. Pendant un examen ou une opération, il peut rassurer la personne malade, diminuer le stress, faciliter la communication et alerter le soignant de la survenue d’une crise », rapporte Françoise Thomas-Vialettes.

Mais à toujours se trouver en première ligne, à toujours anticiper les crises, le proche aidant peut se retrouver en état d’hypervigilance et d’épuisement. En consultation, le médecin de proximité pourra le questionner sur son état de santé physique et psychologique, offrir une écoute, prescrire des soins à domicile et l’orienter vers des solutions de répit ou des associations de patients.

Sur quelles structures et quels outils s’appuyer ?

Les centres de référence et de compétence des épilepsies rares (CRéER)

Qu’il s’agisse de l’efficacité du traitement antiépileptique, du besoin d’ajuster le traitement pour prescrire une contraception ou un antidépresseur, il est possible d’entrer en contact avec les médecins des centres de référence et de compétence des épilepsies rares qui pourront répondre aux questions ou recevoir le patient en consultation [9].

« Entre les surveillances espacées, s’il perçoit des signes d’alerte, le médecin de proximité peut obtenir un avis spécialisé plus rapidement que ne l’offrent les consultations systématiques », indique le Dr Allaire. Des examens complémentaires de type électroencéphalogramme, IRM, bilans neuropsychologiques et neuromoteurs et dosage des antiépileptiques peuvent également être demandés, en cas d’aggravation inexpliquée de l’épilepsie, d’altération cognitive ou d’apparition de signes de toxicité, par exemple.

Les consultations longues

Les patients atteints d’épilepsie sévère sont des personnes à vulnérabilité particulière dont le suivi demande souvent plus de temps que celui d’une consultation standard. Pour libérer du temps et permettre d’appeler un centre de référence ou de compétence, de renseigner un dossier administratif, de rechercher des interactions médicamenteuses ou pour l’éducation thérapeutique du patient (ETP), il ne faut pas hésiter à activer une visite longue.

Les dispositifs spécialisés

Les Équipes relais handicaps rares (ERHR) ont pour mission d’améliorer la qualité et la continuité des parcours ainsi que l’accès aux ressources des situations de handicap rare, notamment pour les personnes « à composante épilepsie sévère » [10]. Elles peuvent être sollicitées par les patients ou leurs proches aidants.

Des équipes d’accompagnement des personnes épileptiques, ainsi que des programmes d’ETP sont disponibles dans la plupart des régions. Ces ressources sont répertoriées au sein des dispositifs d’appui à la coordination (DAC) [11].

Les fiches-conseils d’HandiConnect

Cinq fiches-conseils sont mises à disposition par HandiConnect.fr pour accompagner les professionnels de santé dans le suivi des personnes souffrant d’une épilepsie sévère :

Conclusion

Suivre une personne avec épilepsie sévère en ville peut générer une certaine appréhension. Pour le patient, les crises d’épilepsies sont des événements neurologiques habituels. Les crises généralisées tonico-cloniques ne concernent d’ailleurs que 30 à 40 % des malades. Le rôle préventif du suivi de proximité est essentiel. Médecins généralistes et pédiatres ont toute leur place dans le suivi des patients épileptiques et peuvent s’appuyer sur les centres de référence et de compétence, les dispositifs d’accompagnement ainsi que sur des outils qui faciliteront le déroulement des consultations.

 

Sources

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