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Électroconvulsivothérapie, un traitement de choc !

Associée à des représentations négatives, l’électroconvulsivothérapie a fait couler beaucoup d’encre. Comment ce traitement est-il administré et quelles sont ses indications de nos jours ? Le Pr Franck Schürhoff répond.

Franck Schürhoff 23 avril 2024 Image d'une montre11 minutes icon Ajouter un commentaire
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L’ECT a de nombreuses indications en psychiatrie, en particulier, dans les troubles de l’humeur.

L’ECT a de nombreuses indications en psychiatrie, en particulier, dans les troubles de l’humeur.Dr_Microbe / iStock/Getty Images Plus / via Getty Images

Résumé

L’électroconvulsivothérapie (ECT) consiste à délivrer un stimulus électrique à travers le cerveau afin de provoquer une brève crise convulsive contrôlée dans sa forme, son intensité, et sa durée. La séance d’ECT est réalisée au cours d’une anesthésie générale de quelques minutes sans intubation avec une curarisation et sous surveillance électroencéphalographique.

Le mécanisme d’action de l’ECT demeure encore en partie méconnu. L’hypothèse dominante serait la survenue, à la suite de la crise convulsive, d’une neuromodulation avec augmentation de la plasticité cérébrale et de la neurogenèse.

Au préalable, un recueil du consentement à ce soin est obligatoire.  

De nos jours, les indications en psychiatrie sont de deux types : l’échec des médicaments psychotropes (pharmacorésistance) et la mise en jeu du pronostic vital à court terme (dépression sévère avec idéations suicidaires importantes et /ou symptômes somatiques et/ou caractéristiques psychotiques).

Il s’agit d’un des traitements les plus efficaces des épisodes dépressifs et des dépressions résistantes. Les effets secondaires sont principalement des troubles mnésiques transitoires.   

L’électroconvulsivothérapie (ECT), anciennement appelée sismothérapie, ou électrochoc, est utilisée principalement en psychiatrie. Il s’agit d’une technique qui permet de traiter, depuis la fin des années 1930, différentes pathologies en induisant une crise convulsive.

Les techniques employées au siècle dernier n’ont plus cours et la pratique de l’ECT en 2024 n’a plus rien à voir avec ce traitement caricaturé dans certains films.

L’ECT a notamment été réhabilitée dans les années 1980 à la suite de la démonstration de son efficacité dans des essais randomisés. En 1998, des recommandations de bonnes pratiques ont été éditées par l’Agence nationale d’accréditation et d’évaluation en santé (Anaes) [1]. Ces dernières sont toujours d’actualité. Elles précisent les modalités de l’anesthésie, l’intensité du courant, la position des électrodes sur le crâne, le nombre et la fréquence des séances. On estime qu'environ 1 % des adultes hospitalisés en psychiatrie ont bénéficié de ce traitement en 2019 en France (cf. Encadré 1).

Une information et un consentement éclairé du patient (ou de sa personne de confiance) sont un préalable nécessaire à la pratique de l’ECT.

Une décharge électrique sous contrôle

Le principe de l’ECT consiste à provoquer une crise comitiale généralisée de courte durée (en général de 20 à 90 secondes) à visée thérapeutique au moyen d’un courant électrique alternatif (de type bref pulsé ou ultrapulsé) transcrânien.

En pratique, une impulsion électrique est délivrée entre deux électrodes (disques métalliques) appliquées à la surface du cuir chevelu afin de provoquer une crise convulsive contrôlée dans sa forme, son intensité et sa durée. La séance d’ECT est réalisée sous anesthésie générale.

Quelles caractéristiques du courant ?

Le « dosage » du courant électrique est adapté à chaque cas. L’objectif est d’induire une crise convulsive avec le minimum d’énergie électrique d’où l’intérêt de déterminer le seuil épileptogène. Ce dernier correspond à la quantité électrique minimale nécessaire pour déclencher une crise convulsive généralisée tonico-clonique, d’une durée de 20 à 30 secondes.

Le seuil épileptogène varie en fonction :

  • de l’âge et du sexe du patient (il augmente avec l’âge et il est plus élevé chez l’homme) ;
  • des prescriptions concomitantes ;
  • de l’intensité et du type de courant ;
  • de la position des électrodes ;
  • du diagnostic.

Où placer les électrodes ?

L’efficacité de la séance dépend également du positionnement des deux électrodes. Classiquement, trois placements sont utilisés : 

  • bitemporale (une électrode sur chaque tempe droite et gauche) ;
  • bifrontale (les deux électrodes sur le front) ;
  • unilatérale (une électrode sur la tempe gauche et l’autre au sommet du crâne).

Combien de séances ?

Une cure d’ECT consiste en des séances individuelles, qui ont lieu le plus souvent le matin, à raison de 2 à 3 par semaine jusqu’à l’obtention d’une réponse clinique. Le nombre total de séances est déterminé par le médecin et fonction de l’efficacité :

  • une réponse positive est habituellement obtenue après une série de 12 à 20 séances ;
  • une absence de réponse ou d’amélioration après 8 séances nécessite de reposer les indications et de réévaluer la procédure ;
  • une fois l’amélioration obtenue, 2 à 3 séances de consolidation sont réalisées à un rythme plus espacé.

L’effet de l’ECT étant transitoire, un relais par un traitement médicamenteux est nécessaire. La poursuite des séances (une fois par mois, par exemple) est parfois préconisée et discutée au cas par cas pour que l’amélioration clinique perdure dans certaines situations complexes en fonction du tableau clinique et/ou en cas de résistance aux médicaments.

Une indispensable anesthésie générale

Un bilan médical préalable à l’ECT est systématique. La séance d’ECT est administrée conjointement par un psychiatre et un anesthésiste dans un bloc opératoire ou une salle de réveil sous surveillance électroencéphalographique. L’anesthésie générale (sans intubation) dure quelques minutes et comporte une curarisation pour diminuer les convulsions motrices et éviter les mouvements anormaux (et la survenue de lésions mécaniques). Une surveillance en salle de réveil est nécessaire.

L’ECT peut être pratiquée au cours d’une hospitalisation ou en ambulatoire (la personne retourne alors à domicile après la période de surveillance en salle de réveil).

La piste neurotrophique

Le mécanisme d’action de l’ECT demeure encore en partie méconnu. Plusieurs hypothèses ont été émises incluant des théories autour [2] :

  • d’une augmentation des concentrations des neuromédiateurs cérébraux ainsi qu’une modification de la sensibilité des récepteurs ;
  • d’une stimulation de l’axe hypothalamo-hypophysaire qui serait à l’origine de l’efficacité clinique ;
  • d’une élévation du seuil épileptogène ;
  • d’effets neurotrophiques en lien avec la libération de facteurs neurotrophiques comme le BDNF (Brain-Derived Neurotrophic Factor) [3].

Bien qu’aucune de ces théories ne soit exclusive, la piste neurotrophique demeure l’hypothèse prévalente dans laquelle la crise d’épilepsie entraînerait une augmentation de la plasticité cérébrale et une stimulation de la neurogenèse modifiant la dynamique des principaux neuromédiateurs cérébraux.

Quand le choc est salvateur

Dans la dépression, plusieurs méta-analyses d’études randomisées et contrôlées ou observationnelles ont montré la supériorité de l’ECT versus placebo, mais également versus un traitement pharmacologique classique [4].

Il s’agit de l’un des traitements les plus efficaces des épisodes dépressifs caractérisés (de 85 à 90 % d’efficacité) et des dépressions résistantes aux médicaments antidépresseurs (avec des améliorations cliniques chez 50 à 90 % des sujets) [5]. Le taux de rémission est très largement en faveur de l’ECT par rapport aux thérapeutiques pharmacologiques avec respectivement 50 à 90 % des patients en rémission versus 33 % [6].

En cas de dépression avec manifestations psychotiques, l’efficacité de l’ECT est supérieure à celle d’une monothérapie antidépressive ou d’une association antidépresseur et antipsychotique [7]. D’où la plupart des recommandations internationales qui proposent le recours à l’ECT en première intention pour ce type d’épisode [8].

Des indications reconnues, mais restreintes

Classiquement, les indications de l’ECT en psychiatrie sont de deux types [9] :

  • la mise en jeu du pronostic vital à court terme ;
  • la pharmacorésistance (cf. Encadré 2).  

L’ECT peut être proposé :

  • en première intention en cas de dépressions sévères avec :
    • un risque vital à court terme (formes mélancoliques avec idéations suicidaires importantes et/ou troubles somatiques),
    • des caractéristiques psychotiques,
    • un état qui ne permet pas un autre traitement : premier trimestre de grossesse, maladie organique grave, âge avancé ou autres contre-indications des antidépresseurs,
    • des antécédents de bonne réponse aux ECT ;
  • en seconde intention :
    • dans la dépression résistante (persistance de l’épisode dépressif ou évolution insuffisamment favorable malgré au moins deux traitements antidépresseurs successifs bien conduits),
    • dans certaines formes de troubles de l’humeur notamment les accès maniaques et mixtes avec une action rapide sur l’exaltation et l’agitation en cas d’échec d’un traitement médicamenteux de référence bien conduit,
    • en cas de syndrome catatonique, l’ECT est recommandée après un traitement par benzodiazépines (notamment lorazepam hors AMM) [10],
    • pour améliorer les symptômes dans les formes résistantes de schizophrénie généralement en association avec les antipsychotiques [11].

Un rapport bénéfice/risque favorable

Les effets secondaires de l’ECT peuvent être à l’origine d’anxiété ou de peurs. Il est donc important de les exposer clairement aux patients.  

Quels effets secondaires ?

Les effets indésirables les plus fréquents de l’ECT sont les troubles cognitifs [12] :

  • une désorientation/confusion au réveil (en post-ECT immédiat), généralement transitoire et qui s’amende au bout de quelques heures ;
  • une amnésie antérograde à court terme qui régresse rapidement à la fin de la cure d’ECT ;
  • une amnésie rétrograde qui est l’effet indésirable le plus persistant et le plus fréquent. Ces troubles disparaissent dans les mois qui suivent la cure. Cependant, certains patients continuent à se plaindre de troubles de la mémoire à distance. À ce titre, l’ECT unilatérale est mieux tolérée que l’ECT bilatérale. La question du choix entre ces deux modalités reste cependant encore débattue. Les dernières études semblent toutefois être en faveur de l'ECT unilatérale [13].

Plus rarement, dans les heures qui suivent une séance, les patients peuvent ressentir des maux de tête, une rigidité musculaire, des nausées.

La mortalité imputable à l’ECT (accidents anesthésiques compris) est de l’ordre de 2,1 / 100 000 ECT (le taux de mortalité d’une anesthésie générale en relation avec une procédure chirurgicale est estimé dans cette même référence à 3,4 pour 100 000) [14].

Quelles contre-indications ?

Il n’existe pas de contre-indications absolues à l’ECT, en dehors de celles liées à l’anesthésie générale. Cependant, les conditions suivantes peuvent augmenter le risque lié à ce traitement : processus expansif intracrânien, hypertension intracrânienne, infarctus du myocarde ou accident vasculaire cérébral hémorragique récents, anévrysme ou malformation, phéochromocytome et les situations de risque anesthésique élevé.

Au total, bien que des études randomisées contrôlées à grande échelle restent nécessaires afin de mieux caractériser la balance bénéfice/risque de l’ECT, l’efficacité de ce traitement est maintenant reconnue dans des indications précises avec une bonne tolérabilité.

Encadré 1 - L’ECT en France : premières données nationales chiffrées

Il n’existait pas, jusqu’à présent, de données chiffrées sur le recours à l’ECT en France. D’où l’intérêt de cette recherche récente qui s’est appuyée principalement sur deux bases de données gérées par l’Agence technique de l’information sur l’hospitalisation (ATIH) à savoir le Programme de médicalisation des systèmes d’information en médecine, chirurgie et obstétrique (PMSI-MCO) et, depuis 2017, le recueil d’informations médicalisé en psychiatrie (RIM-P) [15].

Les résultats montrent qu’un peu plus de 1 % des adultes hospitalisés au moins une journée à temps plein en psychiatrie en 2019 en France ont reçu un traitement par ECT. Comparativement aux individus hospitalisés selon les modalités sus décrites, ces personnes ont des diagnostics plus sévères et complexes, sont plus âgées, et sont plus fréquemment des femmes (elles ont souvent des dépressions plus lourdes que les hommes).

Au total, 3 705 patients ont été traités par ECT en 2019 (dont moins de 5 % qui n’avaient pas de suivi en psychiatrie hospitalière identifiable la même année).

En se basant sur ces chiffres, les auteurs de cette étude estiment le taux de recours à l’ECT en France à 0,6 pour 10 000 habitants-année. À titre d’exemple (et bien que les données internationales soient difficilement comparables), le taux de recours à l'ECT aux États-Unis serait de 5,1 pour 10 000 habitants-année [16].

 

Encadré 2 - Dépressions résistantes : de l’intérêt d’un centre expert

Les dépressions résistantes sont des dépressions ne répondant pas à deux lignes d’antidépresseurs bien conduites sur une période d’au moins 4 à 6 semaines et à une dose suffisante (posologie maximale de l’autorisation de mise sur le marché [AMM]). Elles concerneraient 15 à 30 % des épisodes dépressifs majeurs. Devant un tel tableau, une évaluation précise et objective des patients avec des outils de mesure validés et standardisés est fortement recommandée. Cette évaluation fine peut être réalisée dans un centre thérapeutique de référence et/ou un centre expert comme ceux du réseau « dépression résistante » de la Fondation FondaMental.

Différentes stratégies thérapeutiques de troisième ligne peuvent être proposées en fonction notamment du profil clinique du patient.

 

Sources

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