Interview du Pr Béatrice Garcin, neurologue, hôpital Avicenne (93). Infographie réalisée par le Studio graphique de VIDAL.
- VIDÉO -
Les troubles neurologiques fonctionnels (TNF) sont des symptômes neurologiques qui peuvent se manifester sous forme de crises non épileptiques psychogènes (Cnep) et/ou toucher les fonctions motrices (déficit moteur, tremblement, dystonie...), sensorielles (altération ou absence de sensation, cécité...) ou cognitives, alors qu'il n'y a pas de lésion identifiée au niveau du système nerveux.
Il existe des chevauchements avec les autres troubles à symptomatologie somatique du DSM-5, notamment la fibromyalgie, le syndrome de fatigue chronique, et les troubles fonctionnels digestifs. Ces maladies font partie d’un même spectre et ont des mécanismes physiopathologiques communs.
Les TNF sont rapportés plus fréquemment chez des femmes et des personnes jeunes entre 30 et 40 ans.
Les principaux facteurs de risque prédisposants sont un abus physique et une négligence émotionnelle dans l’enfance. Cependant, les TNF peuvent survenir quels que soient le sexe, le milieu professionnel, l’âge et, dans au moins 30 % des cas, il n’existe pas de facteurs de risque prédisposants.
La physiopathologie des TNF n'est pas complètement élucidée, mais les études d'imagerie fonctionnelle ont permis de grandes avancées. On sait maintenant que :
- l’attention joue un rôle important dans l’expression des symptômes ;
- il existe une plus forte propension à la dissociation chez les personnes ayant des Cnep ;
- un trouble de l’agentivité a été identifié en cas de TNF moteurs.
À suivre : « diagnostic et prise en charge des troubles neurologiques fonctionnels » (partie 2).
TRANSCRIPTION
Les troubles neurologiques fonctionnels (TNF) sont des affections fréquentes, encore largement méconnues et sous-diagnostiquées, qui concernent aussi bien les adultes que les enfants.
En neurologie, les TNF représentent :
- 10 % des consultations ;
- le 2e motif de consultation le plus fréquent après les migraines et les céphalées.
VIDAL. Comment définir les troubles neurologiques fonctionnels ?
Pr Béatrice Garcin. Ce sont des symptômes neurologiques qui sont invalidants et qui surviennent alors qu'il n'y a pas de lésion identifiée au niveau du système nerveux. Mais la définition en tant que telle n'est pas si simple. Ce sont des symptômes qui sont potentiellement réversibles et qui sont liés à un dysfonctionnement au niveau des réseaux cérébraux.
Depuis quand parle-t-on de troubles neurologiques fonctionnels ?
On parle de TNF depuis 2013, depuis la révision des critères diagnostiques du DSM (DMS-5), qui sont des critères psychiatriques américains faisant office de référence.
Avant de parler de TNF, on parlait de troubles de conversion. Et avant encore, on parlait d'hystérie. Ces deux termes : troubles de conversion et hystérie ont été supprimés, parce que le lien avec l'utérus n'a jamais été démontré et parce que le trouble de conversion sous-entend qu'il y a conversion d'un conflit intrapsychique en un symptôme. Cela n'a jamais non plus été démontré de manière scientifique.
On retient le mot « trouble neurologique fonctionnel » qui reflète mieux la physiopathologie, puisqu'il y a un dysfonctionnement au niveau des réseaux cérébraux. Et c'est aussi un terme moins stigmatisant, mieux accepté par les patients, et plus facile à utiliser par les médecins.
Quels consensus et reconnaissance par la communauté médicale française et internationale ?
En termes de consensus, ce cadre diagnostique a été longtemps mis un peu de côté par la médecine, parce que les neurologues avaient tendance à dire : « Ce n'est pas neurologique, c'est psychiatrique. » Et inversement, les psychiatres avaient tendance à dire : « C'est neurologique », parce que les patients se présentaient avec des symptômes neurologiques : troubles du mouvement, déficit moteur et déficit sensitif.
Depuis une vingtaine d'années, il y a un regain d'intérêt avec des professionnels de santé qui s'intéressent spécifiquement à cette maladie, à tel point qu'il y a une société internationale qui a été créée en 2019, la Functional Neurological Disorder Society (FNDS).
En France, on a aussi créé un réseau : le réseau TNF France, en 2018, par le docteur Guilhem Carle et moi-même. Il regroupe 180 professionnels de santé sur toute la France, à la fois des médecins, des neurologues et des psychiatres, mais aussi des rééducateurs, des psychologues, des kinésithérapeutes, des ergothérapeutes. Tous ces professionnels de santé du réseau TNF France s'intéressent spécifiquement à la prise en charge des TNF.
Quels sont les principaux symptômes ?
Au niveau des symptômes, toute la sémiologie neurologique est représentée, car le TNF peut se manifester par toutes sortes de symptômes neurologiques.
Un des principaux critères est le trouble du mouvement ou de la fonction sensorielle. Cela veut dire un trouble neurologique. Mais si on résume un peu les principales manifestations, on considère qu'un tiers des patients ont un trouble moteur. C’est soit un déficit moteur, soit un mouvement anormal. Et les deux principaux mouvements anormaux qu'on observe dans le cas du TNF sont le tremblement et la dystonie, une posture anormale, liée à une contraction de muscles agonistes et antagonistes.
Ensuite, on considère qu'à peu près un tiers des patients avec un TNF ont des crises.
Avant, on parlait de crise non épileptique psychogène (Cnep), mais la terminologie est en train de se modifier pour parler de crises fonctionnelles dissociatives qui les caractérisent mieux.
Enfin, un tiers ont d'autres symptômes, notamment des troubles du langage, des troubles sensoriels ou sensitifs (comme une cécité, une diminution de la perception sensitive), des troubles cognitifs, etc.
Ce « un tiers, un tiers, un tiers » est très artificiel parce que la majorité des patients a plusieurs manifestations qui se chevauchent. Les principales manifestations sont les troubles moteurs et les crises non épileptiques.
Quels sont les comorbidités et les liens avec les autres troubles à symptomatologie somatique ?
De nombreuses comorbidités sont très fréquentes et, jusqu'à maintenant, elles n'ont pas été considérées comme faisant partie du trouble. Il existe de nombreux chevauchements avec les autres troubles somatiques fonctionnels (troubles à symptomatologie somatique du DSM-5), notamment la fibromyalgie, parce qu'on sait que la moitié des patients qui ont un TNF ont aussi des douleurs chroniques diffuses.
Il y a aussi un chevauchement important avec le syndrome de fatigue chronique. Trois-quarts des patients rapportent une fatigue importante qui dépasse la norme.
Il y a aussi des chevauchements avec les troubles fonctionnels digestifs, puisqu'à peu près, un tiers des patients rapportent des troubles digestifs, mais aussi avec plein d'autres cadres : les troubles urinaires, les troubles cognitifs, etc.
Le TNF est défini par la présence d'un trouble du mouvement ou d'une atteinte sensorielle : un déficit moteur, un déficit sensitif ou sensoriel ou un mouvement anormal. C’est la raison pour laquelle on dit que le patient a un trouble neurologique fonctionnel. Mais il peut avoir un TNF et un syndrome de fatigue chronique et un trouble digestif fonctionnel.
On comprend bien que cela fait partie d'un même spectre de maladies, que ces maladies sont liées avec des mécanismes physiopathologiques communs.
Quels sont les profils des personnes touchées et les facteurs de risque prédisposants ?
A priori, cette pathologie peut toucher tout le monde, à tous âges, de tous les milieux socioprofessionnels, les femmes et les hommes.
Cependant, il existe des facteurs de risque et des populations qui sont plus concernées :
- les femmes plus que les hommes : trois femmes pour un homme, à peu près ;
- plutôt les personnes jeunes : l'âge moyen de survenue est de 30 ans pour les crises fonctionnelles dissociatives, et 40 ans pour les troubles moteurs fonctionnels.
Il existe aussi des facteurs de risque prédisposants, c'est-à-dire des facteurs qui augmentent la probabilité de développer un trouble neurologique fonctionnel. Le facteur principal, ce sont les traumatismes survenus pendant l'enfance. Ils sont de trois types :
- les violences sexuelles ;
- les violences physiques ;
- la négligence, la maltraitance émotionnelle.
Chacun de ces traumatismes multiplie par quatre le risque de développer un trouble neurologique fonctionnel plus tard à l'âge adulte.
Parmi les autres facteurs de risque prédisposant, on sait qu'avoir une maladie neurologique, autre « organique », augmente le risque de développer un trouble neurologique fonctionnel.
Certaines comorbidités psychiatriques augmentent également le risque de développer un TNF : l'anxiété, certains traits de personnalité, notamment la tendance obsessionnelle, le perfectionnisme et une caractéristique qu'on appelle l'alexithymie, qui est la difficulté à identifier ses propres émotions.
Plus récemment, quelques études ont montré l'influence de certaines caractéristiques génétiques, mais on a encore très peu de données là-dessus.
Un élément important : dans au moins 30 % des cas, on ne retrouve pas de facteur de risque. Il n'y a ainsi pas forcément de facteur de risque identifié. Ce n’est pas nécessaire pour développer un trouble neurologique fonctionnel.
Que connaît-on de la physiopathologie de ces troubles ?
La physiopathologie des TNF n'est pas complètement élucidée, mais de nombreuses études d'imagerie fonctionnelle ont essayé de mieux comprendre les mécanismes depuis une vingtaine d'années.
Les croyances des patients et l'attention qu’ils portent à leurs symptômes jouent un rôle important. Donc bien expliquer le diagnostic aux patients peut suffire à faire disparaître les symptômes.
Deuxième chose : les patients qui ont un trouble moteur fonctionnel ont une atteinte de ce qu'on appelle l'agentivité, c'est-à-dire la perception que c'est nous qui faisons le mouvement. Et cette atteinte est corrélée à un dysfonctionnement situé à droite du cerveau, dans une zone qui s'appelle la jonction temporo-pariétale droite, qui intègre les informations sensorielles. Ce deuxième point a été démontré de manière récurrente.
Enfin, lorsqu’on souffre de TNF, on a plus tendance à déclencher un mécanisme de dissociation. Il s’agit d’un mécanisme psychique protecteur quand on vit un événement traumatisant, qui permet de se déconnecter du vécu. Mais quand ce mécanisme se met en place trop souvent, cela peut devenir un problème. C’est ainsi que l’on explique les crises fonctionnelles dissociatives où à la moindre émotion, le patient est déconnecté de son corps et subit des crises.
À suivre : « diagnostic et prise en charge des troubles neurologiques fonctionnels » (partie 2).
Interview : Laurence Houdouin
Caméra/montage : Robin Benatti
Remerciements : Pr Béatrice Garcin, neurologue, hôpital Avicenne (93)
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