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Bactéries multirésistantes : de l’intérêt d’une prévention mutualisée

Une étude récente montre que l’emploi généralisé d’antiseptiques chez des patients institutionnalisés ou hospitalisés dans le même réseau de soins réduit la colonisation par bactéries multirésistantes aux antibiotiques et souligne l’intérêt d’une action préventive conjointe.

Patricia Thelliez 16 juillet 2024 Image d'une montre6 minutes icon Ajouter un commentaire
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Une initiative pour enrayer la dissémination des bactéries multirésistantes.

Une initiative pour enrayer la dissémination des bactéries multirésistantes.gorodenkoff / iStock / Getty Images Plus / via Getty Images

Résumé

Face à l’augmentation des infections par des bactéries multirésistantes (BMR) aux antibiotiques, la Shared Healthcare Intervention to Eliminate Life-threatening Dissemination of MDROs (multidrug-resistant organisms) in Orange County (SHIELD-OC) est une initiative multicentrique dont l’objectif a été de mettre en place une stratégie de décolonisation bactérienne systématique par antiseptiques, au sein d’un réseau interconnecté d’hôpitaux, de maisons de retraite médicalisées et de services de soins aigus de long séjour.

Au terme de deux années, une diminution du portage de plusieurs types de BMR a été mise en évidence : de 33 % dans les unités de long séjour, 22 % dans les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) et 14 % dans les hôpitaux.

Parallèlement, une baisse des hospitalisations des résidents en maisons de retraite et des patients hospitalisés au long cours a été constatée.

Au-delà du bénéfice apporté par cette stratégie de prévention systématique par antiseptiques du  portage de BMR et des hospitalisations inhérentes, ces résultats soulignent l’impact positif d’une démarche mutualisée de lutte contre l‘antibiorésistance.

Comme le souligne Christopher J. Crnich [1] dans un éditorial du Journal of the American Medical Association (JAMA), les efforts de prévention face à l’émergence des bactéries multirésistantes (BMR) et à leur dissémination se sont principalement focalisés sur les unités de soin aigu. Mais, à côté des hôpitaux, les maisons de retraite médicalisées et les services d’hospitalisation de longue durée pour personnes âgées sont aussi gravement impactés par les infections à BMR. Or leurs résidents, en raison de leur âge et de leurs comorbidités, sont tout particulièrement susceptibles d’être hospitalisés, ce qui entretient, voire augmente, la circulation de ces micro-organismes entre les différents établissements de soin d’une même région.

Une prévention systématique par antiseptiques 

Partant de ce constat, un programme d’intervention partagée a été initié, visant à lutter contre la dissémination des BMR dans le comté d’Orange en Californie. La Shared Healthcare Intervention to Eliminate Life-threatening Dissemination of MDROs (multidrug-resistant organisms) in Orange County (SHIELD-OC) est une initiative multicentrique dont l’objectif a été de mettre en place une stratégie de décolonisation bactérienne par antiseptiques au sein d’un réseau interconnecté de 40 établissements [2] .

L’expérimentation a été menée dans 35 structures : 16 hôpitaux, 16 maisons de retraite médicalisées et 3 services de soins aigus de long séjour (long-term acute care hospitals ou LTACH). Globalement, il s’agissait de toilettes ou de douches régulières à la chlorexidine et de l’administration intranasale intermittente de povidone iodée. Chez les patients hospitalisés en dehors des unités de soins aigus, la décolonisation n’a concerné que les sujets pour lesquels des précautions de contact étaient requises. L’évaluation a été faite au terme de deux ans.

Dans les maisons de retraite et les services de soins aigus de longue durée, le personnel infirmier, préalablement formé, a prélevé 50 échantillons au hasard au cours d’une seule journée au début et à la fin de l’étude (le second prélèvement concernait tous les résidents en établissements d’hébergements pour personnes âgées dépendantes (Ehpad). Un protocole similaire a été suivi pour les patients hospitalisés.

Ces gestes ont été réalisés au niveau du nez pour la recherche de staphylocoques dorés résistant à la méticilline (SARM), de la peau axillaire et inguinale et dans la région périanale, pour celle de SARM, d’entérocoques résistant à la vancomycine, de germes producteurs de bêtalactamases à spectre élargi et d’entérobactéries résistant aux carbapénèmes.

Parallèlement, les données de toutes les cultures effectuées dans les laboratoires d’analyse des différents établissements du comté d’Orange ont été recueillies, que les patients, hospitalisés ou en maison de retraite, aient été inclus ou non dans le programme SHIELD-OC. 

Des bénéfices à l’hôpital et en Ehpad

À l’issue de la période étudiée, une décolonisation a été clairement mise en évidence avec une baisse de la prévalence des BMR, passant de 63,9 %  à 49,9 % dans les Ehpad (diminution relative de 21,9 %), de 80 % à 53,3 % dans les établissements de longue durée (moins 33,4 %) et de 64,1 % à 55,4 % chez les patients hospitalisés nécessitant des précautions de contact (moins 13,8 %).

Selon les résultats des cultures provenant des laboratoires, le taux moyen mensuel de cultures positives à BMR a également chuté, passant de 2,7 à 1,7 dans les maisons de retraite incluses dans le programme contre une baisse de 1,7 à 1,5 dans celles qui étaient hors programme. Dans les LTACH, les chiffres étaient respectivement de 14,8 et 8,2.

Dans le même temps, le taux d’hospitalisation en rapport avec ces infections des personnes en Ehpad a diminué. Ainsi, dans les maisons de retraite participant au programme de décolonisation systématique, le taux pour 1 000 résidents/jour est passé de 2,31 à 1,94 alors que dans 50 établissements du même type non inclus dans l’étude, les chiffres étaient respectivement de 1,90 et 2,03.

Les signataires de l’article [2] concluent ainsi à l’efficacité de mesures de décolonisation, généralisées dans les établissements de soins de longue durée et plus ciblées pour les patients hospitalisés à risque d’infection par BMR.

Mais, au-delà de ce bénéfice, l’aboutissement de la stratégie détaillée par Gabrielle M. Gussin et al. est aussi de mettre en lumière, chiffres à l’appui, l’intérêt d’actions de prévention partagées entre différentes structures de soins : hôpitaux, Ehpad ou autres établissements de longue durée pour personnes âgées. Car, même si certains services hospitaliers sont fortement engagés dans la lutte contre la dissémination des BMR, tous leurs efforts risquent d’être contrariés en raison de la fréquence des hospitalisations des sujets âgés provenant d’établissements alentour n’ayant pas toujours la même implication dans la lutte contre ces micro-organismes.

Une approche préventive « horizontale »

Un autre point abordé par l’éditorialiste déjà cité [1] est l’aspect « généralisé, horizontal » du programme SHIELD-OC, qui s’oppose aux habituelles interventions « verticales ». En effet, ces dernières reposent sur la surveillance active et l’isolement des patients colonisés afin de contrôler la dissémination des BMR. Mais cette option « verticale » a un coût à ne pas négliger, car elle nécessite un dépistage et elle n’est pas non plus sans conséquence sur la qualité de vie et le bien-être de patients âgés, qui doivent limiter leurs contacts.

Au contraire, une démarche « horizontale », comme celle qui vient d’être rapportée dans le JAMA, est caractérisée par la mise en place systématique de mesures de prévention concernant un ensemble de personnes particulièrement à risque de colonisation et d’infection par des BMR.

Une politique plus générale semble de plus favoriser l’observance du personnel soignant qui finit par incorporer les gestes requis dans les routines de soin. Dans les Ehpad, l’excellente adhésion aux bains à la chlorexidine (86,3 %) et à l’application intranasale de povidone iodée (69,5 %) constatée par Gussin et al., en est d’ailleurs le reflet.

Bien sûr, des interrogations et des critiques sont soulevées par cette étude, allant de l’incertitude sur le mécanisme d’action, du caractère quasi expérimental du protocole, au coût et au temps nécessaire à l’application des mesures de prévention, etc. Il faut également compter avec les effets indésirables propres des antiseptiques, y compris l’éventualité de l’émergence de résistances.  

Quoi qu’il en soit, une des principales leçons apportée par l’intervention SHIELD-OC est sans doute de montrer qu’en matière de lutte contre le péril des BMR, « agir seul n’est plus une option ». 

Sources

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