
Interview de Leila Chaouachi, pharmacienne, fondatrice du CRAFS.passigatti / iStock / Getty Images Plus / via Getty Images et le studio graphique de VIDAL
- Podcast - La prise en charge médicale des victimes de soumission chimique est aujourd'hui insuffisante, tant en termes de diagnostic que d'accompagnement. Pressé par l'indignation provoquée lors du procès des viols de Mazan, le précédent gouvernement (gouvernement Barnier) a évoqué plusieurs pistes pour faciliter l'identification d'une soumission chimique, dont la mise à disposition et la prise en charge en pharmacie de tests de détection de substances. Pour les experts, avant de proposer des solutions techniques, il est nécessaire de mettre en place un parcours de prise en charge globale prenant en compte l'aspect médical, médico-légal et judiciaire, car « toutes les inexactitudes et les failles qui existeront dans ce circuit pénaliseront les victimes », prévient Leila Chaouachi. Experte nationale de l'enquête Soumission chimique auprès de l'ANSM, elle a participé à la création du Centre de référence sur les agressions facilitées par les substances (CRAFS), dont une des missions est de guider les professionnels de santé à mieux accompagner ces situations.
TRANSCRIPTION
VIDAL News. Parole d'expert. David Paitraud reçoit Leila Chaouachi, pharmacienne, fondatrice du Centre de référence sur les agressions facilitées par les substances (CRAFS) et experte nationale de l'enquête Soumission chimique auprès de l'ANSM.
Est-ce qu'on a aujourd'hui une définition claire de la soumission chimique ?
Leila Chaouachi. La soumission chimique est le fait de droguer une personne à son insu ou sous la menace, sans son consentement, pour commettre un fait criminel ou délictuel, quel qu'il soit. Le plus connu ce sont les violences sexuelles, mais bien sûr, il y a d'autres faits criminels ou délictuels.
Pourquoi est-ce important et nécessaire d'avoir une définition ?
C'est important de comprendre qu'il s'agit d'un mode opératoire des violences. Quand on parle de soumission chimique, en réalité, on parle des violences. Dans les violences, vous avez des agressions facilitées par les substances qui se déclinent en deux sous-modes opératoires : la soumission chimique ou la vulnérabilité chimique.
- La soumission chimique, on vous drogue à votre insu.
- La vulnérabilité chimique, on profite de votre propre consommation de substances pour procéder au crime ou au délit.
Dans les deux cas, c'est très grave. Ce sont des modes opératoires criminels qui en disent long sur un fait de société.
David Paitraud. Le Centre d'évaluation et d'information sur la pharmacodépendance addicto-vigilance de Paris (CEIP-A) réalise chaque année une enquête nationale sur les signalements de soumission chimique.
Que nous enseigne l'enquête sur les données de 2022 ?
Cette enquête nous enseigne que les idées reçues sur la soumission chimique sont très vastes. Cela fait plus de vingt ans que cette enquête existe. Le Centre expert n'a eu de cesse de répéter que les victimes sont de tout genre : des femmes bien évidemment, qui sont surreprésentées (80 % dans nos données), mais aussi des hommes, des personnes transgenres, qu'il s'agisse d'hommes assimilés femmes à la naissance ou de femmes assimilées hommes à la naissance. C'est important de le dire et de le répéter, les femmes, les hommes et les personnes transgenres sont concernés au premier niveau par les violences sexuelles. Donc la violence sexuelle concerne tout le monde et elle est subie par tout le monde.
Ces victimes n'ont pas uniquement 20-29 ans, même si les 20-29 ans sont surreprésentés. Les victimes sont de tout âge également. La plus jeune d'entre elles dans notre enquête a 9 mois et la plus âgée d'entre elles a 90 ans. Donc il faut déconstruire tous ces préjugés. On peut être une femme septuagénaire, être victime de soumission chimique, y compris à des fins de violences sexuelles.
Ce qui est important également à déconstruire, c'est le profil de l'agresseur. On a toujours tendance à imaginer un loup solitaire à la quête d'une proie facile dans une ruelle sombre, avec une victime qui n'aurait pas respecté les règles élémentaires de prudence. On est très loin de cette réalité.
L'agresseur, majoritairement masculin, dans 90 % des cas, va plutôt être une personne que l'on connaît, voire en qui on a confiance, un proche. C'est important de le dire parce que la soumission chimique est toujours une affaire d'une confiance trahie. On connaît la personne et on lui fait confiance. Par exemple, les victimes, très souvent, vont laisser leur verre sous la surveillance d'une personne de confiance, vont accepter un verre d'une personne de confiance, mais aussi vont laisser leur verre sans surveillance dans un contexte qui gagne leur confiance. Quand vous êtes au restaurant, vous êtes en confiance. Vous parlez aux inconnus tous les jours, vous faites confiance aux inconnus. L'inconnu aussi a un visage habituel, il est d'une banalité déconcertante. Ce n'est pas toujours cet homme à capuche dans la ruelle sombre qui rôde. L'inconnu peut être le chauffeur qui vous raccompagne, l'hébergeur qui vous accueille, le caviste qui vous fait goûter son vin, ou toutes sortes de prestations, de services que vous pouvez avoir à domicile, voire parfois le médecin que l'on consulte…
Et autre idée à déconstruire, les substances utilisées…
On a tendance à penser que c'est le GHB qui est uniquement utilisé à des fins criminelles, on parle souvent de la drogue du viol. Or, tous les ans dans notre enquête, les médicaments arrivent en tête avec des sédatifs qui vont endormir, fatiguer, faire baisser la garde et faciliter le passage à l'acte.
Les drogues également, notamment les drogues illicites, sont au coude à coude avec les médicaments depuis 2021, avec les stimulants, surtout la MDMA, une amphétamine communément appelée ecstasy, qui arrive en première position deux années consécutives dans notre enquête. Le but va alors être d'altérer le comportement, de désinhiber, d'hypersensualiser, etc.
Il y a aussi des drogues dissociatives, donc hallucinogènes, qui vont faire perdre la notion de la réalité. Mais que l'agresseur vous sédate, vous stimule ou vous dissocie, son objectif est toujours le même : réduire au maximum vos capacités de défense et de discernement pour faciliter son passage à l'acte. J'insiste, c'est un mode opératoire criminel. En l'occurrence, la substance est l'arme qui facilite le crime.
David Paitraud. Fin 2024, le gouvernement Barnier a promis de simplifier le dispositif de détection des substances qui favorise une soumission chimique.
Est-ce que l'expérimentation des kits individuels remboursables en pharmacie est la bonne démarche à mettre en œuvre ?
Tout dépend de la manière dont ce dispositif va être déployé. Il y a un enjeu judiciaire à considérer. Ces dispositifs médicaux qui pourraient être disponibles en pharmacie, n'auraient d'efficacité que s'ils permettent une traçabilité parfaite du circuit, puisqu'il va falloir potentiellement les utiliser à des fins judiciaires. On doit s'assurer que les protocoles de traçabilité mis en place sont en mesure d'identifier les personnes qui ont permis ce prélèvement.
Il est aussi très important de considérer que ces analyses ne peuvent pas être réalisées par n'importe qui, mais par des laboratoires experts qui disposent de techniques de pointe, afin de mettre en avant la présence d'une substance administrée potentiellement à faible dose une seule fois dans la vie d'une personne, et pour lesquelles les prélèvements ont été réalisés à distance. Il faut donc être en capacité de trouver des microtraces, jusqu'au nanogramme par millilitre près, et surtout de rechercher un arsenal extrêmement large de substances puisqu'on ne sait pas ce qu'on vous a administré. Toute substance qui peut altérer l'état de conscience ou de discernement sera recherchée par ces laboratoires experts qui ont effectivement tout cet éventail d'agents de soumission chimique identifiés.
Au-delà même de l'analyse toxicologique, il est essentiel de garder en mémoire la nécessaire prise en charge médicale des victimes. Il n'y a pas que les analyses. Le « tic-tac » n'existe pas uniquement pour le prélèvement de sang et d'urine. Il sert aussi pour constater des éventuelles lésions, prélever de l'ADN étranger, des traces de spermatozoïdes, mettre en place une prophylaxie efficace afin de réduire le risque de contamination infectieuse dans les affaires de viol, diminuer le risque de grossesse non désirée. Donc le « tic-tac » est là aussi pour toute cette prise en charge médicale.
Autre point qui me paraît déterminant : le rendu de ce résultat, une étape extrêmement importante. La victime va entendre si elle a été droguée potentiellement ou pas à son insu. Quand bien même le résultat serait négatif, il faudra continuer à expliquer à la personne que, pour autant, on n'avait pas le droit d'abuser d'elle, que, pour autant, elle n'était pas responsable de son agression parce qu'un viol même sobre, ou quand bien même la personne aurait consommé volontairement de l'alcool, rien ne le justifie.
Pour finir, il est très important que le résultat passe entre les mains des experts analystes toxicologues. C'est une discipline à part entière, c'est de la criminalistique, des sciences forensiques. Il faut laisser faire les professionnels sur ces questions-là, notamment si l'affaire est amenée à être judiciarisée. Parce qu'une victime qui ne souhaite pas déposer plainte aujourd'hui cela ne signifie pas qu'elle n'est pas prête à le faire dans une semaine, dans un mois, dans cinq ans. Quand elle va vouloir aller déposer plainte, il est primordial qu'elle ait derrière elle un expert-analyste qui va être capable de faire face aux avocats de la défense qui sont là pour faire leur travail. Il est nécessaire, qu'en face d'eux, il y ait quelqu'un qui a les reins solides, qui comprenne les enjeux et qui sache défendre des résultats, parce que tout cela est au service des victimes. Toutes les inexactitudes et les failles qui existeront dans ce circuit vont faire que ce sont les victimes qui vont trinquer. Donc il faut être extrêmement rigoureux, extrêmement exigeant sur le circuit qui va être mis en place, le parcours de prise en charge des victimes et aussi la validité de ces dispositifs médicaux s'ils devaient être mis en place en pharmacie.
David Paitraud. Vous avez alerté le Ministère justement sur ces risques et cette vigilance à avoir concernant le dispositif.
Quel crédit apporté aux bandelettes à plonger dans les boissons pour détecter la présence de drogue ?
Pour l'instant, il n'y a pas de dispositif médical qui soit disponible en pharmacie. Les pharmacies d'officine sont habilitées à délivrer uniquement les dispositifs médicaux.
En revanche, on a vu circuler un certain nombre de « prestations » et justement des produits qui ont été proposés à la vente en pharmacie ou ailleurs, même sur des plateformes en ligne, etc. On doit être vigilant sur les messages portés par ces outils. Il n'existe pas d'outil qui fasse barrage au crime. Ce n'est pas possible. Je vais vous le dire, c'est pour une raison toute simple. Je vous fais l'exercice volontairement provocateur. Combien me faudra-t-il de bandelettes pour boire mon verre tranquille ? Parce que, soyons clairs, si on parle de prévention, n'importe qui peut me droguer. Donc cela signifierait, qu'avant même que je boive mon verre, il faut que je trempe tout de suite une bandelette. Et après, quasiment à chaque gorgée, et autant de fois que je me resservirai. C'est entretenir l'idée que tout est affaire de prudence, alors qu'il s'agit, avant tout, d'une affaire de confiance trahie, ce n'est pas prendre en compte le fait que ce qu'il faut promouvoir, c'est une vigilance solidaire. Ce n'est pas à moi d'assurer ma sécurité. Je peux bien sûr mettre en place des outils de réduction des risques, et il en existe. En revanche, c'est essentiel de passer les bons messages. La vigilance, elle doit être solidaire. Les bons messages sont : quels sont les signes qui alertent ? Comment réagir ? Quoi faire si l'agression a eu lieu ? Pour pouvoir mettre en évidence des éléments de preuve.
On a parlé des bandelettes, mais cela serait pareil pour les couvercles à verre, ou les vernis dont on a pu entendre parler, qui ne sont pas commercialisés : le fantasme d'un vernis antiviol qui ferait barrage au crime, etc. Si vous prenez par exemple les couvercles à verre, ça peut avoir un intérêt de les utiliser pour justement rappeler que c'est un fait criminel qui peut exister. Mais prétendre que c'est un barrage au crime est illusoire.
Il y a plusieurs points qu'on peut soulever. Cela entretient des idées reçues sur le profil des victimes. J'ai vu par exemple des chouchous [N.D.L.R. chouchous « antidrogues »] être vendus comme si uniquement des femmes pouvaient être ciblées par ces violences. Cela entretient l'idée que c'est toujours le rôdeur. Finalement, on va continuer à confier son verre à une personne de confiance qui va trahir et relever le capuchon.
Et puis, surtout, cela est promu uniquement pour des verres d'alcool, comme si on ne pouvait pas être drogué par un autre vecteur. On peut être drogué avec de l'eau, il n'y a pas besoin de verre d'alcool.
Au-delà de ça, cela ne permet donc pas de passer les bons messages sur la consommation d'alcool en elle-même, qui peut être justement à risque et qui nécessite une vigilance solidaire. Il ne s'agit pas de dire aux gens de ne pas boire, il s'agit de dire aux gens exactement ce qui est dit dans les slogans sur la conduite automobile : quand on aime quelqu'un, on le retient. De la même façon, si Sophie en soirée est un peu ivre, je dois faire attention à Sophie. Il est inutile de dire à Sophie de faire attention, elle est bourrée. Donc c'est à moi de faire attention à elle en tant que Camille dans un cas de sororité, mais pas uniquement puisque bien sûr les hommes peuvent être extrêmement vigilants et en soutien aux victimes.
David Paitraud. Le rapport de Sandrine Josso, députée de Loire-Atlantique, elle-même victime de soumission chimique, est attendu au mois de mai. Il met l'accent sur la prise en charge des victimes.
Quelles sont les bases de la prise en charge des victimes ? Quelle peut être la place des professionnels de santé libéraux, notamment les médecins généralistes et les pharmaciens d'officine ?
Un amendement a été déposé par la députée Sandrine Josso, en vue de mettre en place une expérimentation en 2025, pour permettre un accès aux analyses toxicologiques, avec un remboursement par l'Assurance maladie. C'est un travail en chantier. On n'en a pas encore les contours, mais c'est en train d'avancer. Pourquoi est-ce que cet amendement, qui a été impulsé par l'ordre national des médecins, a été mis en place ? Parce que l'affaire des viols de Mazan a été sidérante à plein d'aspects. Elle a rendu compte, ce que nous, en tant qu'experts, savions déjà, que la population était chargée d'idées reçues : cela peut se passer à la maison, par son compagnon, sur du long cours, avec des médicaments disponibles dans une armoire à pharmacie, ou en tout cas, qu'on peut simplement se procurer auprès de son médecin.
Ensuite, on a eu un deuxième effet de sidération. Je tiens à saluer le corps médical qui ne s'est pas défaussé de ses responsabilités, qui n'a pas dit : « Moi j'aurais vu ». Mais qui a plutôt dit : « Je pense que moi aussi je serais passé à côté ». La peur de cette errance thérapeutique que Gisèle Pelicot a vécue, avec le nombre de médecins qu'elle a pu consulter, et qu'aucun d'entre eux n'a été en mesure de soulever cette hypothèse, a fait que le reste du corps médical a eu l'honnêteté de dire : « Nous non plus, on n'aurait pas été capable de le faire. Nous ne sommes pas suffisamment formés ». Mais au-delà de ne pas être formés, est-ce qu'ils sont réellement équipés pour repérer les victimes ? Quand bien même ils auraient eu un doute, car cette partie formation est indispensable, si vous conditionnez l'accès aux analyses toxicologiques fiables, d'un point de vue médico-légal, aux dépôts de plaintes, comment voulez-vous identifier les victimes qui s'ignorent, comme c'était le cas de Gisèle Pelicot et d'autres, j'imagine. Donc, il faut donner les moyens diagnostiques au médecin, renforcer « son pouvoir » diagnostique à ce niveau-là, parce que c'est un enjeu de santé publique au-delà de l'enjeu sociétal.
Je ne vous donnerai qu'un exemple, la soumission chimique, et encore plus quand elle est au long cours dans la sphère intrafamiliale, ce sont des accidents de la voie publique. Quand vous ne savez pas que vous êtes drogué à votre insu, vous prenez le volant alors que vous n'êtes pas en état de conduire. Ce sont des chutes, des traumatismes, des pertes de poids, une altération de l'état général. C'est une fatigue constante, une difficulté à travailler et à être concentré. Ce sont des troubles de l'usage de substances au décours du fait des traumatismes subis, des troubles du comportement alimentaire, des dépressions, des scarifications, parfois des tentatives de suicide et bien sûr, jusqu'au décès puisqu'on peut aussi se tromper dans les dosages et que cette dose soit fatale. C'est d'abord un enjeu de santé publique et on ne peut pas le cantonner uniquement au corps judiciaire.
Après effectivement, cet enjeu de santé publique doit tenir compte des enjeux judiciaires parce qu'on a affaire à des faits criminels et délictuels. L'objectif de cet amendement est de donner la possibilité de détecter, de repérer et de mieux orienter. Nous, en parallèle, on a créé le CRAFS.
Le CRAFS, Centre de référence sur les agressions facilitées par les substances, c'est quoi ?
On a créé ce centre pour plusieurs raisons.
Le projet de la création de cette plateforme de téléconseil et ressources a été envisagé en 2021 avec la libération de la parole sur l'usage criminel dans l'espace festif, les fameux #Balance ton bar ou #MeToo GHB. On s'est aperçu de l'étendue des idées reçues, qui étaient partielles et partiales, mais qui avaient un fond de vérité (des femmes, des violences sexuelles, etc.), un fond de vérité, mais incomplet.
Plus grave encore, il y avait des fake news qui circulaient, et qui, elles, n'avaient vraiment aucun fondement scientifique, avec des apprentis experts qui prétendaient dire quoi faire aux victimes, etc. Tout cela est extrêmement délétère à leur prise en charge.
En même temps que cet intérêt théorique pour la problématique, on a vu augmenter les demandes de prise en charge des victimes potentielles. Cette demande de prise en charge croissante s'est heurtée à la méconnaissance de la thématique par le corps médical, notamment les professionnels. Avec un soin qui n'était même pas apporté à l'accueil, ne sachant pas de quoi il s'agit, on disait à ces personnes : « Vous étiez juste alcoolisé(e) ou totalement défoncé(e) aux drogues, on ne pense pas que vous ayez subi quoi que ce soit ».
Et parmi ceux qui soignaient très bien l'accueil – je pense notamment à des dispositifs d'écoute, qui existent et qui sont très bons –, d'un côté il y avait des dispositifs qui connaissaient parfaitement les drogues, mais plutôt à usage récréatif volontaire, loin de l'usage criminel et des violences, et de l'autre côté, des dispositifs qui étaient extrêmement compétents sur les violences, mais qui ne connaissaient pas du tout les substances, les médicaments, les drogues et l'usage criminel, qui est une science particulière.
On avait donc un circuit qui était conditionné strictement aux dépôts de plaintes avec un maillage territorial très hétérogène chez des victimes qui n'avaient pas la possibilité de déposer plainte immédiatement pour plein de raisons que vous pouvez imaginer. On disait aux victimes : « Faites vite, il faut préserver les preuves ». On ne leur donnait pas de boussole. Et la boussole ne pouvait pas être indiquée simplement, puisqu'on ne peut pas donner un message clair partout sur le territoire national. On ne pourrait pas, par exemple, dire : « Allez aux urgences », car vous ne serez pas reçu dans toutes les urgences et vous ne serez pas pris en charge nécessairement dans ce cadre-là. Donc il fallait un conseil qui soit à la fois hyperspécialisé, mais aussi personnalisé pour pouvoir répondre en fonction de la victime, en fonction de ses besoins, de sa temporalité et dans le respect du maillage territorial qui est extrêmement différent d'une région à l'autre. C'est celle-ci la genèse du CRAFS.
Le nerf de la guerre pour nous était de rompre l'isolement des victimes, mais de rompre aussi l'isolement des professionnels, parce que même en les formant, on ne va pas fabriquer des experts. On va fabriquer des personnes qui vont être sensibilisées à la question, qui ne vont pas forcément rencontrer ce cas de façon régulière, et donc qui auront de toute façon besoin d'un centre de référence et d'être en lien directement avec des personnes qualifiées.
Nous, au bout du fil, nous sommes toutes des femmes, expertes en santé publique, et pharmacologues. On est spécialisées dans l'usage criminel des substances, formées sur les violences sexistes et sexuelles et sur le psychotraumatisme. Avec les sociétés savantes qui nous soutiennent, les structures de prise en charge des victimes à l'échelle nationale, nous allons essayer – en tout cas, dans la mesure du possible – de faire de l'information et de l'orientation. Nous sommes la boussole et après, bien sûr, la place sera donnée à toutes les structures qui prennent en charge ces victimes les plus proches de leur domicile.
Interview : David Paitraud, pharmacien
Montage : Robin Benatti & David Paitraud
Remerciements : Leila Chaouachi, pharmacienne et fondatrice du Centre de référence sur les agressions facilitées par les substances (CRAFS)
Les professionnels de santé peuvent contacter le Centre de référence sur les agressions facilitées par les substances :
- sur internet : Le CRAFS
- par téléphone : 01 40 05 42 70
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