Des missions essentielles de la pharmacovigilance.
En plus du recueil des effets indésirables (EI) survenant après l’administration d’un médicament et de l’analyse de l’imputabilité du (des) médicament(s) qui s’ensuit, les acteurs du système de pharmacovigilance sont en charge des enquêtes nationales de pharmacovigilance et peuvent également décider, conduire ou participer à des études de pharmaco-épidémiologie.
Les enquêtes nationales de pharmacovigilance visent à confirmer et caractériser à l’échelon national un signal détecté.
Les études de pharmaco-épidémiologie (étude de l’utilisation et des effets bénéfiques et indésirables des médicaments en population) complètent la pharmacovigilance par l’étude en population de l’association entre médicament et EI et la quantification de ce risque.
Ce dernier chapitre complète trois actualités VIDAL précédentes ayant brossé un bref portrait de la pharmacovigilance, détaillé son organisation et expliqué comment s’évalue l’imputabilité.
Les abréviations utilisées sont listées à la fin de l’article.
La pharmacovigilance ne se limite pas au recueil et à l’analyse des effets indésirables survenant après l’administration d’un médicament (évaluation de l’imputabilité). Une de ses missions essentielles est la réalisation d’enquêtes nationales de pharmacovigilance, parfois complétée d’études pharmaco-épidémiologiques
Qu’est-ce qu’une enquête nationale de pharmacovigilance ?
Une enquête nationale de pharmacovigilance a pour objectif de confirmer et caractériser un signal, détecté en général par les centres régionaux de pharmacovigilance (CRPV) et parfois par une publication de cas.
Son ouverture est décidée par l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) ou dans le cadre d’une évaluation européenne.
Elle est réalisée par un ou plusieurs rapporteurs membres de CRPV, avec un appui possible d’experts de la discipline concernée par l’effet indésirable (EI) du médicament.
Le rapporteur collecte les données émanant des CRPV, du fabricant du médicament, celles transmises par l’ANSM (rapports d’évaluation européens, informations issues des requêtes effectuées dans la base de données de pharmacovigilance et/ou d’autres bases de données…).
Ce recueil est complété par une recherche bibliographique.
Une relecture critique du rapport est ensuite effectuée avant sa transmission à l’ANSM.
Au regard des conclusions de l’enquête, l’ANSM, décide alors des mesures appropriées visant à prévenir, réduire ou supprimer le risque.
L’ANSM doit être informée de l’envoi pour publication des enquêtes effectuées par les CRPV, qui reposent sur des données issues de la base nationale de pharmacovigilance (BNPV).
Exemples d’enquêtes récentes
À titre d’exemples récents, on peut citer les enquêtes de pharmacovigilance suivantes réalisées par les CRPV.
- Insuffisance rénale aiguë associée au méthotrexate - janvier 2022.
Une enquête des CRPV menée en 2018 a mis en évidence une hétérogénéité des modalités pratiques de prévention et de prise en charge de la néphrotoxicité du méthotrexate. L'ANSM et les laboratoires ont rappelé les mesures de prévention du risque de néphrotoxicité avant /pendant/après chaque cure de méthotrexate.
- Atteinte hépatique associée à la cladribine (MAVENCLAD) - février 2022.
À la suite d'atteintes hépatiques rapportées aux CRPV, l’ensemble des données a été revu et a conduit la European Medicines Agency (EMA), l'ANSM et les laboratoires à prendre des mesures pour minimiser ce risque.
- Mésusage de la trimébutine injectable (DEBRIDAT et TRIMEBUTINE MEDISOL) - avril 2022.
Un cas grave d'arrêt cardio-respiratoire au décours de l’administration de fortes doses intraveineuses de trimébutine a conduit à une enquête des CRPV qui a mis en évidence une utilisation hors autorisation de mise sur le marché (AMM) fréquente de la forme injectable de trimébutine (iléus postopératoire et examen endoscopique ; posologie trop élevée). L’ANSM et les laboratoires ont donc rappelé les règles de bon usage de la trimébutine injectable.
- Importance de différer l’utilisation de vaccins vivants (ROR, BCG, varicelle, rotavirus, fièvre jaune) chez les nourrissons exposés, in utero ou pendant l'allaitement, à l’infliximab (REMICADE, FLIXABI, INFLECTRA, REMSIMA et ZESSLI) - mars 2022.
Décision prise à la suite d’une infection disséminée par le bacille de Calmette et Guérin après vaccination par le BCG après la naissance et sur des arguments pharmacologiques : infliximab détecté dans le sérum de nourrissons exposés in utero jusqu'à 12 mois après la naissance et/ou nourris au lait maternel ; risque d'infection connu de l’infliximab.
- Complications infectieuses graves et anti-inflammatoires non stéroïdiens.
Des cas d’infection grave rapportés par les CRPV en cas de prise d’anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS) pour traiter la fièvre ou la douleur (ANSM 2019) avaient conduit à des conseils de restriction d’utilisation des AINS (ibuprofène et kétoprofène), en cas de pathologie fébrile. Malgré ces conseils, plusieurs cas de complications infectieuses, d’issue parfois fatale, chez des adultes et des enfants ayant pris des AINS étaient encore rapportés aux CRPV en mars 2023. L’ANSM a rappelé que, dans un contexte de douleur et/ou de fièvre, notamment en cas d’infection courante comme une angine, une infection dentaire ou une toux, il faut privilégier le paracétamol et ne pas prescrire ou délivrer d’ibuprofène ou de kétoprofène (ANSM 27 avril 2023).
Qu’est-ce que la pharmaco-épidémiologie ?
La déclaration « spontanée » des EIM détecte des « alertes » ou des « signaux », mais ne permet ni d'évaluer la fréquence des EIM, ni de quantifier l’éventuel lien entre l'exposition au médicament et la survenue d'un EI.
Les études de pharmaco-épidémiologie (étude de l’utilisation et des effets bénéfiques et indésirables des médicaments en population) complètent la pharmacovigilance par l’étude en population de l’association entre médicament et EI et la quantification de ce risque.
Ces études ont pour objectif de confirmer (ou d'infirmer) une association entre l'exposition à un médicament et la survenue d’un EI et à estimer la force de cette association. En revanche, elles ne permettent pas d'affirmer une relation causale entre le médicament et l’EI.
Elle procède par le suivi systématique de larges populations s'appuyant sur des bases de données (administratives, de consultations, d’hospitalisations, de registres) :
- Les registres (de décès, de cancer, etc.) sont un recueil systématique de tous les cas d'un événement donné (ici l'EI) dans une zone géographique déterminée. Ils permettent de déceler les modifications de fréquence d’une pathologie et une comparaison par rapport à la date d'introduction du médicament.
- Les études de cas attendus/observés comparent le nombre d’EI enregistrés dans une population à ceux attendus dans la même population en l’absence de médicament.
- Les cohortes sont des groupes de sujets sélectionnés en fonction d'une caractéristique (l'exposition au médicament), que l'on suit dans le temps pour quantifier la survenue d'un phénomène (ici l'EI). Une cohorte peut être comparée à un groupe de personnes non exposées au médicament.
- Les études cas/témoin comparent l'exposition au médicament entre un groupe de sujets ayant eu l'EI (les cas) et un groupe, aussi comparable que possible, de personnes indemnes de cet EI (les témoins).
LEVOTHYROX : apport de l’enquête de pharmacovigilance et de la pharmaco-épidémiologie
Après le passage de l’ancienne à la nouvelle formule du LEVOTHYROX des EI, de fréquence inédite et inattendue, ont été déclarés aux CRPV (fatigue/asthénie, céphalées, insomnie, vertiges, dépression, douleurs articulaires et musculaires, alopécie).
Une enquête nationale de pharmacovigilance menée par les CRPV dès la mise sur le marché de la nouvelle formule de LEVOTHYROX en mars 2017 n’a pas mis en évidence de nouveaux effets indésirables avec la nouvelle formule ni de facteurs explicatifs. Elle a montré, chez un tiers des patients, un déséquilibre thyroïdien malgré une TSH dans les normes attendues, lors du passage de l’ancienne à la nouvelle formule.
Une étude de pharmaco-épidémiologie sur les conséquences du passage à la nouvelle formule du LEVOTHYROX en France, à partir des données du Système national des données de santé (SNDS), sur plus de 2 millions de patients, n’a pas fourni d’argument en faveur d’un risque augmenté de problèmes de santé graves (absence d’augmentation des hospitalisations, des décès, des arrêts de travail d’au moins 7 jours, ni de consommation de médicaments ; d’accroissement du recours aux soins ambulatoires et de consommation de benzodiazépines) au cours des mois suivant l’initiation de la nouvelle formule du LEVOTHYROX (donc d’une toxicité propre de la nouvelle formule). Ces résultats reflétaient plutôt les difficultés rencontrées par certains patients lors du changement de formule (ANSM, mars 2021).
Depuis octobre 2017, l’offre de médicaments à base de lévothyroxine a été élargie en plus de la mise à disposition temporaire d’EUTHYROX avec LEVOTHYROX, L-THYROXIN HENNING, THYROFIX, L-THYROXINE SERB et thyroxine TCAPS. (AMM pour TSOLUDOSE, commercialisée en 2023). Le recours à des spécialités autres que LEVOTHYROX ne s’est pas accompagnée de signal particulier, mais leur prescription a augmenté : 15 % au dernier trimestre 2017 ; 19 % au premier trimestre 2018 ; 21 % au dernier trimestre 2018.
La bonne qualité de la composition des différents médicaments à base de lévothyroxine a été confirmée, en particulier l’analyse des lots de LEVOTHYROX NF 100 µg cités à plusieurs reprises par les associations de patients (ANSM juillet 2018).
Enfin, une analyse a aussi permis de confirmer la conformité du principe actif ; le fait que les quantités de lévothyroxine étaient comparables entre l’ancienne et la nouvelle formule ; la présence de dextrothyroxine à l’état de traces, dans la nouvelle comme dans l’ancienne formule.
La communication, après une enquête de pharmacovigilance ou à d’autres occasions, vise à la prévention des risques et à la promotion du bon usage des médicaments. Elle est envisagée dans les situations suivantes :
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L’information
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Les outils de diffusion
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Glossaire AMM : autorisation de mise sur le marché ANSM : Agence nationale de sécurité des médicaments ARS : agence régionale de santé BNPV : base nationale de pharmacovigilance CAP-TV : centres antipoison et de toxicovigilance CEIP-A : centres d'évaluation et d'information sur la pharmacodépendance-addictovigilance CRPV : centres régionaux de pharmacovigilance EI : effet indésirable EIM : effet indésirable d’un médicament EMA : Agence européenne des médicaments EPI-PHARE : Groupe d’intérêt scientifique créé par l’ANSM et la Cnam EudraVigilance : Base de données européenne de pharmacovigilance OMS : Organisation mondiale de la santé PRAC : Pharmacovigilance Risk Assessment Committee PV : pharmacovigilance RREVA : Réseau régional de vigilance et d’appui SNDS : Système national des données de santé VigiBase : Base internationale de pharmacovigilance pilotée par l’OMS |
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