Un risque de mise à l'écart de la vie sociale.
Les personnes qui souffrent de Covid long décrivent fréquemment des difficultés cognitives ayant un fort impact sur leur qualité de vie personnelle et professionnelle : ralentissement de la pensée, difficultés à planifier, impossibilité de gérer plusieurs tâches à la fois, troubles de la mémoire immédiate, fatigabilité importante, etc.
Face à ces symptômes, certains professionnels de santé ont évoqué des causes psychologiques liées au stress de la maladie aiguë : anxiété et dépression. Pourtant, de nombreux travaux semblent pointer vers l’existence de modifications cérébrales avec des signes d’activation des cellules microgliales (macrophages) et, possiblement, des troubles de la myélinisation.
Pour la majorité de ces patients, l’intensité des symptômes est suffisamment importante pour perturber la vie quotidienne et nécessiter la mise en œuvre de stratégies d’adaptation. Si environ la moitié d'entre eux signalent une amélioration progressive passé le cap de la première année après l’infection aiguë, une vaste étude britannique a montré des symptômes persistant au moins jusqu’à la fin de la deuxième année.
En l’absence de traitement spécifique, accompagner ces personnes dans la mise au point de stratégies d’adaptation personnalisées est essentiel pour les protéger d’un sentiment de dévalorisation et d’une mise à l’écart de la vie sociale et professionnelle.
Parmi les symptômes du Covid long les plus couramment décrits, la notion de brouillard cérébral (brain fog) revient fréquemment. Les sujets atteints décrivent à la fois une perte de capacités cognitives et mémorielles, une sensation de vide mental, de fortes difficultés de concentration et une grande fatigabilité après avoir accompli des tâches cognitives jusque-là faciles. Pour de nombreux patients, cet état persiste des mois après l’infection initiale, avec ou sans amélioration progressive.
Face à ces symptômes, l’opinion des professionnels de santé est variable : certains y voient l’expression de troubles psychiques consécutifs à l’infection (anxiété et dépression) alors que d’autres soupçonnent des altérations neurologiques postinfectieuses. Les recommandations qu'ils délivrent aux patients sont donc également variables et la prise en charge très hétérogène entraîne une certaine frustration chez les personnes concernées.
Récemment, une étude longitudinale britannique [1] a apporté de l’eau au moulin des partisans d’une cause neurologique postinfectieuse, en cohérence avec divers travaux sur l’impact de la Covid-19 sur les cellules cérébrales. À cette occasion, nous vous proposons une synthèse sur le sujet des difficultés cognitives associées au Covid long.
Une perte des performances cognitives habituelles
Les symptômes décrits par les personnes atteintes de troubles cognitifs à la suite d’un épisode de Covid-19 sont très similaires quel que soit le patient. Ils sont cohérents avec la définition des troubles neurocognitifs, c’est-à-dire « en lien avec la capacité à penser et raisonner, y compris la capacité à se concentrer, se souvenir, analyser des informations, apprendre, parler et comprendre » [2].
Les sujets touchés signalent :
- un ralentissement des fonctions cognitives ;
- des difficultés à gérer plusieurs tâches à la fois (multitasking) et à planifier ;
- une mémoire active (la capacité à garder des informations en mémoire pendant quelques instants) défaillante ;
- un manque d'aptitude à se concentrer sur une tâche ou une information.
Dans les cas les plus sévères, des troubles de la syntaxe sont décrits, ainsi que des difficultés à trouver ses mots, voire à lire et à écrire [2].
Pour de nombreux patients, l’intensité de ces troubles est fluctuante (« des bons et des mauvais jours ») [3] et imprévisible, ce qui se révèle déstabilisant, en particulier dans la confiance qu’ils accordent à leurs performances (peur de s’être trompé, doute sur la capacité à accomplir une tâche, par exemple). De plus, la vaste majorité des victimes de brouillard cérébral signalent également une grande fatigabilité : la réalisation de tâches mentales habituellement faites « sans y penser » devient épuisante, parfois pendant plusieurs jours.
Pour rappel, selon le Bureau national des statistiques des États-Unis, les personnes qui ont eu un Covid long (et, pour la plupart, des altérations cognitives) sont très majoritairement des femmes, âgées de 35 à 69 ans, présentant des comorbidités, travaillant dans le domaine du soin ou du social et vivant dans des zones de pauvreté [2]. Dans une enquête portant sur 2 696 patients [4], la prévalence des troubles cognitifs associés à un Covid long serait d’environ 7 % de la population ayant eu un épisode de Covid. Chez les personnes souffrant de Covid long, on estime que 65 à 85 % d’entre elles présentent des altérations cognitives [3].
Un impact considérable et durable sur la qualité de vie
Les patients atteints signalent des conséquences importantes dans leur vie quotidienne :
- sentiment de honte et de culpabilité ;
- perte de confiance en soi ;
- effet négatif sur les capacités à gérer les éventuelles autres manifestations du Covid long ;
- perte de performance au travail (voire incapacité à travailler) ;
- perte d’identité personnelle ou professionnelle;
- etc.
Leur état ne correspond plus à la définition de la santé telle que proposée par Tarlov [5] : « la capacité, en lien avec son potentiel et ses aspirations, à vivre pleinement dans son environnement social ».
Si environ la moitié signale une amélioration progressive, mais lente de leurs symptômes, ce handicap invisible peut durer plusieurs mois, voire plusieurs années (avec les limites en termes de recul d’une pandémie qui va bientôt fêter son troisième anniversaire).
Dans une étude observationnelle menée par une équipe de l’université d’Oxford et portant sur environ 1,5 million de patients Covid-19 enfants et adultes (comparés à autant de malades ayant souffert de la grippe) [6], des troubles cognitifs, lorsqu’ils étaient présents, persistaient chez les adultes après deux années de suivi (ils s’amélioraient dès le 75e jour postinfection chez les enfants, pour n’être plus décelables après 16 mois). Les troubles psychologiques, eux, disparaissaient complètement 15 mois après l’épisode infectieux chez les adultes. Ces délais étaient les mêmes que l'infection ait été due au variant Delta ou Omicron.
Un diagnostic difficile et parfois erroné
L’une des difficultés pour diagnostiquer ces altérations cognitives (et évaluer leur intensité) repose sur l’absence d’outils appropriés. Certaines travaux ont eu recours au questionnaire dit Montreal Cognitive Assessment [7], créé et validé pour rechercher des signes de troubles cognitifs chez les sujets âgés (outil non validé pour les moins de 55 ans). Or, les personnes atteintes de Covid long sont en moyenne beaucoup plus jeunes.
Autre difficulté : la capacité, au prix d’un effort et d’une fatigue persistante, à répondre correctement aux tests qui leur sont proposés (en particulier dans les « bons jours »). Par ailleurs, les individus à fortes capacités cognitives avant l'infection peuvent obtenir des résultats de tests cognitifs normaux, tout en ressentant, subjectivement, une forte diminution de leurs capacités.
Enfin, certains des symptômes cognitifs font également partie de pathologies psychiques, en particulier la dépression (ralentissement cognitif, grande fatigabilité, par exemple).
Tous ces travaux (voir par exemple [2] et [3]) soulignent la frustration des patients à qui les professionnels de santé consultés ont répondu que « tout est normal » ou « qu’il s’agit d’un épisode dépressif ».
Des altérations familières pour ceux qui s’intéressent aux syndromes postinfectieux
En 2020, dans la revue The Lancet, deux chercheurs mettaient en avant des témoignages écrits de personnalités publiques britanniques après la pandémie de « grippe russe » qui sévit de 1889 à 1892 [8]. Celles-ci étaient victimes de symptômes cognitifs handicapants bien après leur épisode infectieux aigu.
À l’époque, le monde médical avait pris très au sérieux ces symptômes baptisés alors « catalepsie grippale », « prostration », « épuisement nerveux », « inertie postgrippale », etc. D'ailleurs, un récit faisait référence à la « mutinerie de (ses) capacités » et la presse outre-Manche parlait « d’une nation de convalescents incapables de retourner au travail ».
De la même manière, après la pandémie de grippe « espagnole » de 1918-1919, les praticiens ont décrit de très nombreux cas d’« encéphalite léthargique », voire de « maladie du sommeil », qui ont persisté jusqu’en 1929.
Récemment, comme ce fut le cas après les grippes russe et espagnole, de nombreux professionnels de santé atteints de Covid long ont témoigné du handicap provoqué par les altérations cognitives en termes de confiance en leurs décisions, voire de mémoire des décisions prises avec une forte anxiété d’avoir peut-être commis une erreur sans s’en rendre compte [2, 3, 8].
Des altérations cognitives similaires à celles observées dans le Covid long ont été signalées à la suite de diverses infections : SARS, infection par le VIH, maladie de Lyme, infection par le virus d’Epstein-Barr, infection par le virus de la Ross River, fièvre Q, etc. De plus, la fatigue intense et durable après un effort cognitif même modéré est l’un des symptômes classiques du syndrome de fatigue chronique / encéphalomyélite myalgique (cf. notre article sur les syndromes postinfectieux).
Par ailleurs, certains médecins ont noté la forte ressemblance des altérations cognitives liées au Covid long avec les troubles cognitifs signalés par les patients ayant reçu un traitement par chimiothérapie anticancéreuse (chemo brain ou, plus formellement, altérations cognitives liées au cancer [9, 10]).
Quelles bases pathogéniques pour les troubles cognitifs ?
Pour tenter d’expliquer les raisons des troubles cognitifs constatés lors du Covid long, diverses hypothèses sont évoquées qui rejoignent celles déjà émises à propos du Covid long dans son ensemble. Pour résumer, celles-ci sont de trois types (pour plus de détails, voir l’excellente synthèse publiée sur le site de The Conversation par les experts français du domaine [11]) :
- la persistance de SARS-CoV-2 dans des réservoirs cellulaires ;
- la persistance d’une réponse inflammatoire notamment au niveau des vaisseaux sanguins et du cerveau, avec ou sans phénomène auto-immun ;
- la présence de microcaillots et de microhémorragies.
Récemment, une étude a été réalisée à partir de la UK Biobank (Royaume-Uni) sur 785 personnes (1). Pour chacune d’entre elles, les chercheurs disposaient d’une IRM cérébrale précédant la pandémie. Parmi elles, 401 ont été infectées par le SARS-CoV-2. Dans cette population, les chercheurs ont de nouveau pratiqué des IRM (en moyenne 141 jours après l’infection aiguë) et comparé les nouveaux clichés aux anciens. Cette étude longitudinale où les participants étaient leur propre témoin a montré que les patients ayant été infectés par le SARS-CoV-2 présentaient :
- une diminution de la matière grise au niveau du cortex orbitofrontal et du gyrus parahippocampique ;
- des traces de dommage tissulaire dans le cortex piriforme (olfactif, qui se projette dans les deux zones citées précédemment) ;
- une diminution globale de la taille du cerveau.
Selon les auteurs, ces modifications pourraient être la conséquence de la perte de stimulation sensorielle olfactive, mais également traduire une inflammation générale du cerveau.
En parallèle, il a été mis en évidence des signes d’hypométabolisme dans les aires corticales fronto-pariétales [12], dont les gyri orbitaires et le lobe temporal droit [13].
Enfin, diverses études ont mis en évidence une infiltration du cerveau par des lymphocytes T périphériques, ainsi qu’une activation et un état inflammatoire des cellules gliales, en particulier de la microglie (les macrophages qui résident dans le système nerveux central [14]). Cette activation microgliale est également présente chez les personnes souffrant d’altérations cognitives liées au cancer où elle est connue pour diminuer les capacités plastiques des neurones cérébraux et provoquer des troubles de la myélinisation (ce qui se traduit par un ralentissement de l’influx nerveux et des interférences entre neurones [15]. Ces derniers ont également été signalés après un épisode de Covid-19 [14].
Quelques pistes de traitement pour ces altérations cognitives
Quelques travaux sont en cours pour tenter de soulager le handicap lié aux altérations cognitives du Covid long. La piste des neurostimulants (par exemple le modafinil – MODIODAL et génériques, ou le méthylphénydate – RITALINE) n’a pas montré de bénéfice significatif dans de petites études contrôlées. Outre les antihistaminiques (pour diminuer l’activation inflammatoire), une étude pilote va évaluer la piste de la metformine (également explorée dans le traitement des troubles cognitifs liés au cancer [16]).
En attendant une solution médicamenteuse, les sujets atteints développent des stratégies d’adaptation : diminution du rythme des activités (dont le travail), priorité accordée au repos nécessaire, négociation avec soi-même sur ses attentes, attention portée au sommeil et au régime alimentaire, recours à des compléments alimentaires, etc.
En conclusion, les troubles cognitifs liés au Covid long sont une réalité durable pour la majorité des patients qui souffrent de ces suites de l’infection aiguë. Les identifier, en expliquer les bases neurologiques et en reconnaître la nature invalidante sont nécessaires pour protéger ces personnes de la dévalorisation et d’une mise à l’écart de la vie sociale.
En l’absence de traitement spécifique, les accompagner dans la mise au point de stratégies d’adaptation personnalisées est important, ainsi que, le cas échéant, leur proposer un soutien psychothérapeutique visant à soulager l’impact de ce handicap dans la vie quotidienne.
[1] Douaud G, Lee S, Alfaro-Almagro F et al. SARS-CoV-2 is associated with changes in brain structure in UK Biobank. Nature, 2022; 604(7907): 697–707. doi: 10.1038/s41586-022-04569-5.
[2] Callan C, Ladds E, Husain L et al. ‘I can’t cope with multiple inputs’: a qualitative study of the lived experience of ‘brain fog’ after COVID-19. BMJ Open, 2022; 12(2): e056366. doi: 10.1136/bmjopen-2021-056366.
[3] Yong E. One of Long COVID’s worst symptoms is also its most misunderstood. The Atlantic, 12 septembre 2022.
[4] Asadi-Pooya AA, Akbari A, Emami A et al. Long COVID syndrome‐associated brain fog. J Med Virol., 2022; 94(3): 979–984. doi: 10.1002/jmv.27404.
[5] Tarlov AR. Social determinants of health: The sociobiological translation. Routledge, 2002: 87–109.
[6] Taquet M, Sillett R, Zhu L et al. Neurological and psychiatric risk trajectories after SARS-CoV-2 infection: an analysis of 2-year retrospective cohort studies including 1 284 437 patients. Lancet Psychiatry, 2022; (9): 815–27. doi:10.1016/S2215-0366(22)00260-7.
[7] Montreal Cognitive Assessment (MoCA), 2018.
[8] Honigsbaum M & Krishnan L. Taking pandemic sequelae seriously: from the Russian influenza to COVID-19 long-haulers. Lancet, 2020; 396(10260): 1389–1391. doi: 10.1016/S0140-6736(20)32134-6.
[9] Lange M, Joly F, Vardy J et al. Cancer-related cognitive impairment: an update on state of the art, detection, and management strategies in cancer survivors. Ann Oncol., 2019; 30(12): 1925–1940. doi: 10.1093/annonc/mdz410.
[10] Bernstein LJ, Edelstein K, Sharma A et al. Chemo-brain: An activation likelihood estimation meta-analysis of functional magnetic resonance imaging studies. Neurosci Biobehav Rev., 2021;(130):314-325. doi: 10.1016/j.neubiorev.2021.08.024.
[11] Salmon D, Lehmann C, Guedj E et al. Covid long : qu’en savent les scientifiques aujourd’hui ? The Conversation, 22 septembre 2022.
[12] Hosp JA, Dressing A, Blazhenets G et al. Cognitive impairment and altered cerebral glucose metabolism in the subacute stage of COVID-19. Brain, 2021;144(4):1263-1276. doi: 10.1093/brain/awab009.
[13] Guedj E, Million M, Dudouet P et al. 18F-FDG brain PET hypometabolism in post-SARS-CoV-2 infection: substrate for persistent/delayed disorders? Eur J Nucl Med Mol Imaging, 2021;48(2):592-595. doi: 10.1007/s00259-020-04973-x.
[14] Fernández-Castañeda A, Lu P, Geraghty AC et al. Mild respiratory COVID can cause multi-lineage neural cell and myelin dysregulation. Cell., 2022; 185(14): 2452–2468.e16. doi: 10.1016/j.cell.2022.06.008.
[15] Gibson EM & Monje M. Microglia in Cancer Therapy-Related Cognitive Impairment. Trends Neurosci, 2021; 44(6): 441–451. doi: 10.1016/j.tins.2021.02.003.
[16] Gibson EM & Monje M. Treating cancer therapy–related cognitive impairment. Nat Med., 2020; 26(8): 1174-1175. doi:10.1038/s41591-020-1014-1.
Bonjour,
Y-a-t'il des études qui différencient les covid longs et leurs symptomes en fonction d'un sujet vacciné ou non vacciné et du délai de déclenchement d'un covid19 par rapport à la vaccination? Merci de votre réponse.J.C
Sur l’effet de la vaccination sur le risque de développer un Covid long, une analyse croisée de diverses études de bonne qualité sur le sujet a conclu que la vaccination réduit le risque d'un Covid long en cas d'infection (https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC9417563/ ).
Sur le délai avant de développer, éventuellement, une infection Covid-19 après une vaccination, toutes les études des vaccins concordent : une fois passée la période de 10 jours (nécessaire pour que les vaccins fassent effet), le risque de forme grave est fortement réduit, le risque d’infection l’est moins, mais l'est quand même nettement. Après quelques mois, le risque de développer le Covid-19 augmente au fur et à mesure de la baisse du taux sanguin d’anticorps neutralisants. D’où la nécessité de faire un rappel régulièrement pour « rebooster » ces taux d’anticorps.
Article bienvenue au moment où le COVARS penche pour l'hypothèse que le covid long serait, comme d'autres syndromes post-infectieux, un "trouble somatique fonctionnel". Hypothèse très marginale d'un point de vue scientifique, non confirmée, fortement remise en cause par les pairs. Petit souci de déontologie voire conflit d'intérêts ?
Bonjour,
L'insinuation injurieuses qui termine votre message est parfaitement déplacée. L'auteur s'est donné la peine de sourcer sa synthèse. Si vous êtes en désaccord avec lui, merci d'argumenter avec vos propres sources.
CédricBT semble fait référence aux conclusions du COVARS sur l'origine du covid long et non aux conclusions de l'auteur de l'article.