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Neuropathies périphériques chimio-induites dans les cancers digestifs

Effet indésirable particulièrement fréquent des chimiothérapies, les neuropathies périphériques peuvent évoluer de façon chronique et parfois devenir très invalidantes. Le point sur leur diagnostic et leur prise en charge.

Isabelle Hoppenot 25 juillet 2024 Image d'une montre10 minutes icon Ajouter un commentaire
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La sévérité de ces neuropathies dépend des anticancéreux et des doses cumulées administrées.

La sévérité de ces neuropathies dépend des anticancéreux et des doses cumulées administrées.Zay Nyi Nyi / iStock / Getty Images Plus / via Getty Images

Résumé

Les neuropathies périphériques sont une complication très fréquente des traitements oncologiques, surtout des chimiothérapies, moins souvent des immunothérapies et des thérapies ciblées.

Les neuropathies périphériques chimio-induites donnent le plus souvent des troubles sensitifs à type de paresthésies, pour lesquelles il n’y a pas de traitement médicamenteux, ou de douleurs, accessibles à des traitements pharmacologiques. 

Des approches complémentaires peuvent être proposées, notamment l’acupuncture.

L’éducation thérapeutique joue aussi un rôle important dans la prise en charge.

Dans les formes typiques, la gestion des troubles relève de l’équipe oncologique. Seuls certains patients sont adressés au neurologue pour un bilan spécialisé.

Autant de points abordés lors de la première webconférence de la Fondation Arcad [1] dédiée aux neuropathies périphériques chimio-induites dans les cancers digestifs.

Certaines classes d'agents anticancéreux, et en particulier les platines utilisés dans les chimiothérapies pour soigner les cancers colorectaux, induisent des neuropathies périphériques, effet indésirable majeur qui peut conduire à une réduction (ou à un arrêt) des chimiothérapies et être très invalidant pour les patients. D’où l’intérêt de cette première webconférence organisée par la Fondation Arcad (Aide et recherche en cancérologie digestive) qui a permis de présenter les principales approches actuelles de ces pathologies, aussi bien sur le plan diagnostique que thérapeutique [1].

Quels symptômes ?

Les neuropathies périphériques chimio-induites (NPCI) sont fréquentes et touchent globalement plus de 60 % des patients au cours du premier mois, 60 % à 3 mois et 30 % à 6 mois. Les NPCI se traduisent principalement par des troubles sensitifs à type de :

  • paresthésies décrites comme des sensations désagréables tels des engourdissements, des fourmillements et des picotements ;
  • et/ou de douleurs : brûlures, décharges électriques, allodynies (douleur déclenchée par une stimulation habituellement indolore) au niveau de l’extrémité des membres.

Ces symptômes sont le plus souvent symétriques et peuvent devenir très invalidants, gênant par exemple lors de la marche et/ou la conduite automobile.

Ils sont variables et se présentent de deux façons différentes, selon que la neuropathie est :

  • longueur-dépendante. Dans ce cas, les symptômes s’expriment dans un territoire distal :
    •  touchant d’abord les pieds, puis remontant un peu dans les mollets,
    • et parfois dans les mains.

Ceci est observé surtout avec le paclitaxel (famille des taxanes), qui concerne peu les cancers digestifs.

  • non-longueur dépendante ou ganglionopathies (atteinte des ganglions rachidiens). On observe :
    • des déficits des membres proximaux ou distaux,
    • et une sémiologie sensitive riche, souvent douloureuse.

Ces neuropathies sont caractéristiques des platines et de l’oxaliplatine en particulier (fréquemment prescrit dans les cancers digestifs).

Des signes moins fréquents  

À côté des manifestations typiques des neuropathies périphériques chimio-induites par des symptômes sensitifs, certains patients présentent, selon les molécules et les doses reçues :

  • des signes moteurs comme des crampes, des spasmes, allant parfois jusqu'à des déficits moteurs (orientant éventuellement vers une polyradiculoneuropathie inflammatoire démyélinisante) ;
  • une dysautonomie possiblement très importante ;
  • ou encore une atteinte des nerfs crâniens (dont les métastases cérébrales représentent le diagnostic différentiel).

En fonction du mécanisme

Les troubles varient en fonction du mécanisme en cause et de la structure nerveuse atteinte :

  • ganglions rachidiens (ce qui est le cas avec les platines « toxicité non longueur-dépendant ») ;
  • microtubules (taxanes…) ;
  • canaux ioniques ;
  • terminaisons nerveuses.

Un diagnostic d’élimination dans le cadre d’un cancer

Le diagnostic de NPCI est porté après un bilan minimal visant à rechercher et à éliminer la présence :

  • d’une évolution de la maladie cancéreuse :
    • métastase,
    • épidurite,
    • infiltration radiculaire ou d’un tronc nerveux,
    • gammapathie ;
  • d’une carence en vitamine B1/B6/B12 ;
  • d’un trouble métabolique ;
  • d’un accident vasculaire ;
  • d’une infection ;
  • d’une atteinte paranéoplasique.

Quelle évolution ?

Schématiquement, devant une neuropathie périphérique sensitive, l’arrêt des médicaments permet le plus souvent de stabiliser la symptomatologie neurologique avant de l’améliorer. Des séquelles peuvent toutefois persister dans environ 30 % des cas. Ces dernières sont accessibles à des prises en charge spécifiques dans les 12 à 18 mois, permettant d’améliorer l’autonomie des patients.

Le cas particulier de l’oxaliplatine

Les neuropathies induites par l’oxaliplatine, qui constituent le deuxième effet indésirable le plus fréquent de ce médicament après l’hématotoxicité, ont certaines particularités.

L’oxaliplatine entraîne des neuropathies périphériques aiguës type allodynie au froid (après contact avec une surface froide ou ingestion d’un liquide froid) pendant l’administration de la chimiothérapie, ou dans les heures qui suivent. Il s’agit de neuropathies fonctionnelles transitoires, et non pas cytotoxiques, bien connues des oncologues et qui disparaissent généralement dans les 7 à 10 jours.

Il peut aussi être à l’origine d’une symptomatologie chronique connue qui survient de façon décalée, avec apparition ou aggravation des symptômes de 2 à 3 mois après l’arrêt de la cure de chimiothérapie (phénomène de coasting qui résulte de l’accumulation des sels de platine au sein des neurones des ganglions rachidiens). Ce qui peut donner lieu à des errances diagnostiques, voire des traitements d’épreuve injustifiés. Le principal diagnostic différentiel à évoquer est un syndrome paranéoplasique, complication très rare du cancer, et exceptionnel dans le cadre du cancer colique. À noter que ce syndrome apparaît toujours avant le cancer et est ainsi déjà présent lors de la mise en route de la chimiothérapie.

Quand doit-on adresser le patient au neurologue ?

En pratique clinique, tous les patients ne sont pas référés à un neurologue et la démarche adoptée est pragmatique.

En cas de signes cliniques compatibles avec le médicament utilisé, l’oncologue adapte la posologie et propose un traitement symptomatique, uniquement en cas de douleurs.

En revanche, un avis neurologique est impératif en cas de signes atypiques comme :

  • une asymétrie de la symptomatologie ;
  • une atteinte du système nerveux central, un syndrome pyramidal, des troubles sphinctériens ;
  • ou une évolution inhabituelle.

Le neurologue réalisera un bilan clinique, biologique et un électromyogramme (EMG). L’EMG peut être normal (paclitaxel) ou mettre en évidence :

  • une polyneuropathie sensitivo-motrice (par exemple avec la vincristine) ;
  • une neuropathie sensitive (cisplatine) ;
  • parfois une neuropathie démyélinisante (ce qui modifie la prise en charge).

Quelle prise en charge médicamenteuse ?

Il n’y a pas de traitement médicamenteux des troubles sensitifs à type de paresthésies.

En revanche, la douleur bénéficie de différentes thérapeutiques selon les symptômes. Les médicaments utilisés étant parfois hors autorisation de mise sur le marché (AMM). Il est important de prendre en charge les douleurs chroniques qui sont non seulement une source d’altération de la qualité de vie, mais qui peuvent aussi entraîner la diminution des doses de chimiothérapie, voire leur arrêt, et constituer ainsi une perte de chances pour le patient.

Les douleurs neuropathiques localisées sont en partie secondaires à une surexpression de protéines récepteurs (TRP) et à une sensibilisation centrale due à une sécrétion de substance P et de glutamate dans la corne dorsale de la moelle épinière qui conduit à une hyperexcitabilité, responsable de la douleur.

Le traitement se fonde en première ligne sur des emplâtres médicamenteux à la lidocaïne hors AMM (l'AMM ne concerne que le traitement symptomatique des douleurs neuropathiques postzostériennes chez l'adulte).

En deuxième intention, il existe :

  • à la capsaïcine en patchs (grade III, C [2]) réservée à l'usage hospitalier dans les structures de prise en charge des douleurs chroniques (AMM dans le traitement des douleurs neuropathiques périphériques chez l'adulte) ;
  • ou à la toxine botulique A qui bénéficie d’un cadre de prescription compassionnelle (CPC) depuis mai 2024 établi par l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) dans certains types de douleurs neuropathiques périphériques chroniques.

En cas d’échec de ces traitements, les opioïdes forts peuvent être proposés, mais leur efficacité est modeste avec des risques de dépendance.

Les douleurs neuropathiques centrales sont dues :

  • à des phénomènes de sensibilisation centrale (sécrétion anormale de glutamate et de substance P) conduisant à une hyperexcitabilité neuronale qui va accentuer la sensation de douleur ;
  • à des phénomènes inflammatoires (activation de la microglie) ;
  • à une perte du contrôle inhibiteur des neurones gabaergiques, opioïdergiques et monoaminergiques.

Ces douleurs sont accessibles :

  • à certains antidépresseurs : duloxétine en première intention (grade I, B [2]) hors AMM (l'AMM ne concerne que le traitement de la douleur neuropathique diabétique périphérique) ;
  • ou avec des niveaux de preuve plus faibles :
    • antidépresseurs tricycliques, et en particulier l'amitriptyline par voie orale ou locale en préparation magistrale (grade II, C [2]) (AMM dans le traitement de la douleur neuropathique chez l’adulte). L'imipramine et la clomipramine ont aussi une AMM dans cette indication.
    • venlafaxine (grade II, C [2]) (hors AMM) ;
    • certains anti-épileptiques : gabapentine (grade II, D [2]) hors AMM (l'AMM ne concerne que le traitement des douleurs neuropathiques périphériques telles que la neuropathie diabétique et la névralgie post-zostérienne chez l'adulte) ou prégabaline (grade II, C [2]) (AMM dans le traitement des douleurs neuropathiques périphériques et centrales chez l'adulte). Compte tenu des mésusages de la prégabaline, elle ne sera proposée qu’en seconde intention.

Peut-on espérer des traitements préventifs ?

Les recherches dans le domaine des neuropathies périphériques sont très actives, notamment afin de développer des traitements préventifs (inexistants jusqu’à présent). C’est l’un des objectifs de l’équipe UR 20218 NEURIT de la faculté de Médecine-Pharmacie de Limoges qui, dans le cadre de ses travaux menés depuis sept ans sur les neuropathies périphériques chimio-induites, a mis en place et caractérisé des modèles murins mimant les symptômes proches de la clinique dans un système intégré (douleur, neuro-inflammation).

Des modèles in vitro ont aussi été développés, notamment à partir de neurones sensitifs humains afin de cribler des molécules neuroprotectrices dans une stratégie de repositionnement (profil de sécurité connu de médicaments déjà administrés chez l’homme).

Quelques résultats encourageants ont d’ores et déjà été obtenus.

L’acupuncture, une approche complémentaire

Technique ancestrale, l’acupuncture est utilisée dans le cadre de protocoles reproductibles ayant fait l’objet de publications, en préventif, et en traitement curatif des neuropathies périphériques chimio-induites.

Pour le Dr P. Jeannin (Paris) : « En matière d’acupuncture et de réponse au traitement, il n’y a pas de demi-mesure : le traitement est efficace à 100 % ou… mis en échec à 100 % ! »

Lorsqu’elle est efficace, l’acupuncture permet aux oncologues d’administrer la chimiothérapie à la posologie et pendant la durée prévues, ce qui est un facteur d’optimisation des chances de rémission et de guérison.

D’après les communications de Dimitri Psimaras (Paris), Claire Demiot (Limoges), Philippe Jeannin (Paris). 

Encadré - Quels éléments clés de la prise en charge des neuropathies périphériques chimio-induites ?

Claire Demiot : Il n’y a pas encore de traitement préventif des neuropathies périphériques chimio-induites et il n’y a de traitement curatif que pour les douleurs neuropathiques.

L’ASCO (American society of clinical oncology) et l’ESMO (European society of medical oncology) recommandent de faire appel en première intention à la duloxétine, mais seuls 30 % des patients sont soulagés avec ce traitement. D’autres molécules peuvent alors être proposées selon les recommandations internationales et françaises [2, 3, 4]. Chaque cas est particulier, on parle de phénotype douloureux, et le praticien adapte son approche en fonction de la clinique et de son expérience.

Il faut également informer les patients sur les traitements non médicamenteux [4] tels que :

  • la stimulation électrique transcutanée (TENS [Transcutaneous electrical nerve stimulation]). La proportion de patients répondeurs par rapport au placebo est souvent modeste (comme c’est le cas avec les autres traitements de la douleur neuropathique), mais la sécurité d’emploi de la TENS est excellente.
  • la neuromodulation par stimulation du système nerveux central qui fait partie des thérapeutiques proposées en 3e ligne par les sociétés savantes en France et dont il existe deux approches :
    • la neurostimulation médullaire (cf. notre article du 27 avril 2023),
    • la stimulation magnétique transcrânienne répétitive [SMTr] qui n’est actuellement pas remboursée et ne dispose pas d’une autorisation spécifique en analgésie. 
  • la psychothérapie et notamment les deux thérapies suivantes qui ont le meilleur niveau de preuve :
    • la thérapie cognitivo-comportementale,
    • la thérapie de pleine conscience.
  • l’hypnose (cf. notre article du 16 mai 2023) et l’acupuncture ont également une place dans la prise en charge même si des études supplémentaires sont nécessaires pour préciser leurs indications.
  • sans oublier l’activité physique dont les effets et l’intérêt chez des patients ayant une douleur neuropathique chronique ont été résumés dans un article de 2021 [cf. 5].

Rappelons qu’agir sur l’anxiété et la dépression est également essentiel, car elles sont un facteur d’augmentation des douleurs.

Enfin, l’éducation thérapeutique représente un soutien notable pour les patients, notamment pour améliorer leurs connaissances sur la pathologie, les aider à gérer au mieux leurs troubles, et à acquérir de bonnes habitudes vis-à-vis des traitements pharmacologiques (respect des horaires de prise, des posologies…).

Sources

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